Chronique

Margaux Oswald Collateral Damage

In time, hollow oaks become chapels

Margaux Oswald (p), Hein Westgaard, Niklas Fite (g), Aurelijus Uzameckis, Rafał Rózalski, Uldis Vitols (b), Simon Forchammer (d)

Label / Distribution : Clean Feed

Sept déclinaisons du silence, toutes irrégulières. Pour Collateral Damage, le septet de Margaux Oswald, le silence n’est qu’un matériau premier, un concept à sculpter ; il faut avouer que la jeune pianiste n’a pas construit son orchestre avec un instrumental chambriste : deux guitares, trois contrebasses et une batterie jouée par le danois Simon Forchammer. De quoi chambouler la quiétude profondément. Et pourtant : « Secilen » travaille un silence brutaliste avec beaucoup de patience. L’archet d’une contrebasse s’étiole dans quelques embruns de piano à peine distillés et un tambour s’éloigne discrètement. Pas d’hyperboles, pas rupture franche, quelques craquelures dans les escarbilles des guitares électriques. C’est un travail de fond, des répliques d’un tremblement de terre profond qui n’a pas fait gronder la surface, mais qui menace. Plein, entier. Invisible. Il éclate parfois, toujours en sourdine, notamment quand le piano d’Oswald laboure la pâte orchestrale d’une main gauche puissante (« Clinese », le plus tortueux des morceaux de ce premier album.

Nous sommes ici dans le cœur de l’improvisation européenne, aux confins d’une expression très contemporaine. L’Europe, on est en plein dedans, et ce n’est pas la voyageuse Oswald qui va nous contredire [1], installée au Danemark, son orchestre rayonne autour de la Baltique, notamment chez les contrebassistes, avec Aurelijus Uzameckis de Lituanie, déjà rencontré dans l’orchestre du guitariste norvégien Hein Westgaard, le polonais Rafał Rózalski, entendu avec Ginté Présaité, et le letton Uldis Vitols qui travaille avec Allistair Payne. Autant de facettes de la jeune garde européenne qui implose dans le très dense « Escinel » qui grouille d’abord de cordes sur un archet de contrebasse tellurique avant que Margaux Oswald le fracasse d’un cluster rageur. Mais là encore, c’est une masse qui s’érode, qui ne va pas au chaos mais le prépare.

In time, hollow oaks become chapels exprime cette musique de l’instant, cette chimie particulièrement réussie du septet. Il y a dans l’œuvre de Margaux quelque chose de profondément animiste, une sève qui nourrit une musique charnelle et élémentaire qui a pris le temps de maturer et où chaque son à une importance et propose une déviation. Margaux elle-même parle de son hydre de Lerne, quelque chose de complexe et d’incommensurablement vivant auquel il faut se mesurer et qui pourrait s’étendre au grand format. On le plébiscite.

par Franpi Barriaux // Publié le 8 juillet 2024
P.-S. :

[1Voir son portrait et sa récente interview.