Margaux Oswald, pianiste de l’instinct
À tout juste 30 ans, la jeune pianiste d’origine suisse s’affirme comme une personnalité forte des musiques libres d’aujourd’hui.
Quand on demande à Margaux Oswald de se présenter, sa réponse fuse : « Je me situe quelque part entre Breaking The Waves et My Fair Lady, entre Morton Feldman, Pantera et Baden Powell, entre Lao-Tseu et Cyrano. J’aime la peinture surréaliste et la plongée sous-marine. J’aime particulièrement les poulpes, les requins et les baleines. » Portrait.
j’ai grandi dans un environnement avec des valeurs opposées
Margaux Oswald est née à Genève, d’un père français et d’une mère philippine. Cette double culture, la pianiste la vit comme une chance. Elle lui a apporté "peut-être un certain regard et une identité parfois plurielle et paradoxale. J’ai eu la chance de grandir en voyageant chaque année en Asie du Sud-est. Du coup, j’ai grandi dans un environnement avec des valeurs opposées : d’un côté, mon grand-père de Belfort issu de la classe ouvrière et de l’autre, mon grand-père philippin, ambassadeur. J’ai pris l’habitude de naviguer entre différents milieux sociaux, différentes langues (anglais avec ma mère, français avec mon père), différentes philosophies, entre christianisme et existentialisme. » Très tôt, elle est attirée par la musique : « Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours joué du piano. Mes parents m´ont inscrit au conservatoire populaire de Genève vers 5 ans où j’ai été formée au solfège et au piano ainsi qu’au ballet et à la danse moderne. » A 14 ans, elle envoie tout valser : « Je n’avais pas la tête ni le corps aux études. ». Elle continue, sporadiquement, à jouer de la musique, de la guitare surtout. Elle ne reprendra sérieusement le piano qu’à 20 ans.
- Margaux Oswald et Kasper Tranberg
Margaux Oswald passe alors le plus clair de son temps à l’AMR [1], « une association qui programme des concerts, des ateliers et des cours de jazz. Toute la scène jazz de Genève se concentre dans cet immeuble magique de la rue des Alpes. J’y ai passé 7 ans. » Elle y suit des cours, y répète et y écoute concert sur concert. C’est durant cette période qu’elle s’intéresse plus profondément au jazz, musique qu’elle a découvert à l’adolescence : « À l’époque, je passais du temps à télécharger des discographies entières sur Utorrent ; de fil en aiguille, j’y ai découvert Miles, Monk, Django. » Le jazz, Margaux Oswald le définit désormais comme « un terme fourre-tout ; les gens y associent des valeurs très différentes. Entre ceux qui revendiquent que le jazz meurt à la fin des années 60 et ceux qui pensent que toute musique qui comporte des éléments d’improvisation peut potentiellement s’appeler « jazz », le spectre est large ! Je ne peux pas me prononcer au nom de ma génération car il n’y a pas de réel consensus sur cette vaste et complexe question. » Aujourd’hui, les influences musicales d’Oswald débordent de la musique « jazz » et puisent dans des idiomes divers et variés : Pat Thomas, Dimi Mint Abba, le Gagaku, Pelle Gudmunsen Holmgren, Bob Marley, Bill Evans, Bob Dylan, Charles Trenet, Cardi B, Bobby Timmons, Deep Purple, Barbara, Justice, Billie Holiday, Arch Enemy, Ravel et les premiers Elvis.
La scène improvisée est petite mais très dynamique. Copenhague héberge beaucoup de talentueux musiciens et des propositions nouvelles
En 2018, elle décide de quitter Genève, presque sur un coup de tête : « J’en ai eu marre et je suis partie étudier et vivre à Copenhague. » Elle s’y sent aujourd’hui totalement chez elle : « C’est une belle ville. Elle peut être absolument silencieuse. Quand tu te balades l’hiver, tu n’entends que le vent. Quant à l’été, les jours durent 20 heures, les gens se baignent à poil et font la fête sous le soleil. D’un extrême à l’autre ! Les gens y sont très créatifs. La scène improvisée est petite mais très dynamique. La ville héberge beaucoup de talentueux musiciens et des propositions nouvelles. Je dirais qu’il y a ici une volonté de créer une musique personnelle et contemporaine. » Margaux Oswald y termine actuellement un master en pédagogie musicale au Rhythmic Music Conservatory, « un conservatoire très spécial qui offre une grande liberté aux élèves. On y côtoie des musiciens formidables provenant d’une multitude de genres musicaux. On apprend à repousser ses horizons ainsi qu’à renforcer, articuler et maîtriser sa propre vision musicale. C’est une école réellement formidable. »
En parallèle, elle rencontre et collabore avec de nombreux musiciens. Elle joue avec Lotte Anker, Jesper Zeuthen, participe à l’album de Puyain Sanati. Elle enregistre, à la fin de l’année 2020, I’m a biker avec le saxophoniste espagnol Albert Cirera et le contrebassiste suédois Johannes Nästesjö : « L’album oscille entre diverses influences : free jazz, musique contemporaine et accents minimalistes. » L’année suivante, c’est avec le guitariste Niklas Fite qu’elle enregistre le beau duo Silent Plums.
- Margaux Oswald Collateral Damage
Aujourd’hui, la pianiste, qui qualifie sa musique d’ « impermanente, intense et instinctive », croule sous les projets. Elle sortira durant l’été, sur le label danois ILK, l’album Signals, enregistré en duo avec le trompettiste Kasper Tranberg : « Kasper et moi avons commencé à jouer ensemble en 2020. Kasper est un personnage haut en couleur qui possède simultanément une grande douceur et une énergie intense, quasi électrique. Notre duo, c’est l’histoire de deux entités au langage très différent, qui se mêlent et créent un espace de liberté où la communication règne. »
Puis viendra un album solo, Dysphotic Zone, enregistré au MonoPiano festival de Stockholm l’année dernière et qui sortira sur le label Clean Feed à la rentrée prochaine. Elle prépare également un album avec son trio KVKnM (Sture Ericson aux saxophones et Håkon Berre à la batterie) qui sortira sur la label Barefoot Records. Enfin, elle concrétisera son projet peut-être le plus personnel, le Margaux Oswald Collateral Damage : « C’est mon Hydre de Lerne ! deux guitares, le Suédois Niklas Fite et le Norvégien Hein Westgaard, trois contrebasses, le Lituanien Aurelijus Uzameckis, le Letton Uldis Vitols et le Polonais Rafal Rozalski, une batterie, le Danois Simon Forchammer et moi au piano. Un septet assez fou composé de jeunes improvisateurs absolument incroyables. Chacun d’entre eux a une personnalité musicale unique et puissante. La musique est complètement improvisée, dense et énergique. L’album sortira à la fin de l’année et j’organise actuellement une tournée en Europe en 2023. »
Avec autant de projets sur le feu, nul doute que l’année 2022 sera pour Margaux Oswald l’année de la consécration. On en salive d’avance.