Portrait

Marta Sánchez, une Espagnole à New York

La pianiste ibérique a trouvé aux États-Unis un terreau propice à son épanouissement.


2024 semble être un bon millésime pour Marta Sánchez. Un album en duo avec la saxophoniste María Grand (Anohin chez Biophilia Records), un autre au sein du nouveau quartet du saxophoniste David Murray (Francesca chez Intakt Records) et surtout un premier disque en trio, Perpetual Void (Intakt Records).

Le monde du jazz a failli devoir se passer de la pianiste Marta Sánchez. En parallèle à ses études de piano classique, elle suit des cours de cinéma. « À un moment donné, il a fallu que je fasse un choix, explique-t-elle. J’ai pris le parti de la musique car elle permet de créer dans l’instant. Il me semble qu’elle requiert davantage de créativité. » Toutefois, elle n’écarte pas l’idée d’écrire un jour des musiques de film – un objectif qui lui est cher, en fait.

La poursuite d’une vocation musicale lui impose de faire d’autres choix. Ainsi, Sánchez abandonne le classique au profit du jazz. Son apprentissage la fait passer par différentes phases où elle explore en profondeur des légendes telles que Wynton Kelly, Bill Evans, Red Garland ou Bud Powell. « Cela dit, Herbie Hancock reste ma principale influence, avoue-t-elle. La musique qu’il joue au sein du quintet de Miles Davis me parle le plus. »

Sánchez débarque à New York en 2011 grâce à une bourse. « Après un séjour quelques années plus tôt durant lequel je suis tombée complètement amoureuse de la ville, j’ai essayé de trouver un moyen de partir là-bas, dit la pianiste. Pendant deux ans, je n’ai donc pas eu de souci d’argent et j’ai pu me concentrer sur mon objectif qui était de rencontrer d’autres musiciens. » Les années qui suivent la voient notamment former un quintet qui retient l’attention et avec lequel elle a déjà enregistré trois disques.

Cela dit, 2024 devrait être un vrai moment charnière dans la carrière de Maria Sánchez. Fin mars, un album en duo avec la saxophoniste María Grand, Anohin, sort chez Biophilia. « Beaucoup de monde pense qu’il s’agit d’une collaboration alors que c’est le projet de María, avec ses idées », concède la pianiste. Elle avoue également que jouer en duo ou en solo est terriblement difficile. Elle apprécie la liberté que donne ce type de format. « Il ne faut pas oublier que la liberté s’accompagne de responsabilités, met-elle en garde. Mais, il s’agit d’une pratique qui garantit un formidable développement en tant que musicien. »

Marta Sánchez @ Larisa Lopez

Sánchez est également présente sur le dernier disque du saxophoniste David Murray, Francesca (Intakt Records). Sa rencontre avec l’Américain est le résultat du hasard. «  Lors d’une tournée espagnole en trio, il devait donner un concert en quartet avec un pianiste, se souvient-elle. Quelqu’un m’a recommandée. Malheureusement, le concert ne s’est pas fait en raison de la pandémie de Covid-19. » Ce n’est que partie remise. Un promoteur finit par suggérer deux concerts en duo. Le courant passe si bien qu’elle se retrouve engagée dans le quartet qui enregistre Francesca, un disque sur lequel sa polyvalence fait merveille et son jeu se révèle être un sérieux atout.

Quand j’arrive sur scène pour une balance, il arrive encore que l’ingénieur du son me demande si je suis la chanteuse

Plus significatif encore pour la pianiste est son premier album en trio – premier si l’on ne compte pas un album enregistré alors qu’elle vit encore en Espagne et qu’elle préfère oublier. L’album est intitulé Perpetual Void (Intakt Records) et a été enregistré avec Chris Tordini à la contrebasse et Savannah Harris à la batterie. Il s’agit d’une œuvre très personnelle marquée par de récentes adversités – la disparition de sa mère et son combat contre l’insomnie, entre autres. Musicalement, cet enregistrement démontre une plus grande complexité que ses prédécesseurs. Le format en trio lui ouvre de grands espaces et ses compositions font un usage intense du contrepoint et de la polyrythmie tout en jouant sur les contrastes. La réussite de l’album repose également sur le travail de ses collaborateurs pour lesquels elle n’est pas avare d’éloges. «  Je joue beaucoup avec Chris qui est d’une extraordinaire précision et créativité, dit-elle. Quant à Savannah, elle comprenait tout sans que j’aie besoin de lui expliquer. En outre, son jeu est si naturel et son groove est incroyable. »

Marta Sánchez fait aujourd’hui partie d’un gotha de femmes pianistes qui excellent dans le monde du jazz. Elle reste néanmoins dubitative quant à la place de la femme dans cet univers. En effet, beaucoup de chemin reste encore à parcourir comme l’attestent certains clichés dont elle est toujours victime. « Quand j’arrive sur scène pour une balance, il arrive encore que l’ingénieur du son me demande si je suis la chanteuse », confie-t-elle.