Chronique

Masecki, Tsalikov, Pieniażek

Monk

Marcin Masecki (p), Eldar Tsalikov (ts, cl), Jan Pieniażek (d).

Label / Distribution : BMC Records

Alors qu’on l’avait laissé, déjà chez BMC, jouer des ragtimes cabossés au piano droit, on est heureux de retrouver le pianiste polonais Marcin Masecki dans une nouvelle relecture toute personnelle du patrimoine du jazz. Après avoir enregistré, à deux pianos, un programme sur Bach avec le Pianohooligan Piotr Orzechowski [1], c’est donc de Monk que Masecki s’empare, en trio, notamment avec le multianchiste Eldar Tsalikov qui le suit dans ses circonvolutions qui interrogent autant la pulsation que l’aspect répétitif des standards de Monk ; « Ruby my Dear 1 », qui s’étend comme une pièce de caoutchouc, révèle des ostinatos qui ne se percevaient pas forcément dans les originaux. Idem avec « Misterioso » et son parti pris très concertant, comme s’il s’agissait d’un nocturne romantique digne de l’un de ses illustres prédécesseurs polonais. Tsalikov accompagne au ténor quand la batterie de Jan Pieniażek ponctue délicatement, s’effaçant presque.

Il y a dans ce Monk tout l’amour que porte Masecki au compositeur. Les deux pianistes ont la même approche très iconoclaste mais profondément respectueuse, ce qui pointe dans « Introspection » que Tsalikov ouvre à la clarinette ; après un solo, c’est un piano tourmenté qui le rejoint, la main gauche est puissante et lourde, comme prise d’ivresse… Masecki interroge le rapport de Monk à une musique contemporaine qui aime les lignes de fuite. Mais la grande affaire de ce disque, c’est la seconde interprétation de « Ruby My Dear », ralentie à l’extrême, comme si elle était proche d’une rupture que la gravité commande et qui tient toujours debout grâce à une main droite puissante qui claudique sur la rythmique. Il y a une langueur dans cette interprétation. Elle est foncièrement poétique.

Masecki explique que Thelonious Monk l’a aidé à se détendre au piano et dans l’impro, à avoir envie de jouer ce qu’il voulait. À l’écoute de « Bemsha Swing » et cette rythmique puissante et entêtante, comme s’il s’agissait d’une danse mécanique ou plutôt un stride poussé à son extrémité, on comprend exactement que ce matériel aide le pianiste à aller strictement où il le souhaite. Mais on réduirait le propos si l’on laissait croire que ce disque n’est qu’excentricité. On s’amuse certes beaucoup, autant que dans le Młinarski-Masecki Jazz Band, mais il y a une dimension de défricheur salutaire qui place ce disque parmi les excursions passionnantes dans la sphère monkienne, où les raisins ne sont jamais aigres.