Portrait

Mats Gustafsson, peintre des Echoes

La sortie d’Echoes, le dernier-né du Fire !Orchestra, mérite quelques explications du saxophoniste suédois.


© Johan Bergmark

Depuis une bonne décennie, le grand ensemble scandinave à géométrie variable, le Fire !Orchestra, propose des projets tous plus excitants les uns que les autres. Le dernier en date, Arrival, a été choisi quatre fois lors du Europe Media Chart, le mois de sa sortie, un record inégalé à ce jour.
Cette fois-ci, avec ECHOES, le trio moteur du projet, les trois musiciens de Fire ! ont rassemblé une joyeuse troupe de plus de 40 musicien.ne.s européen.ne.s pour laisser libre cours à la création la plus colorée.
ECHOES est probablement l’un des meilleurs disques de l’année 2023 et sa sortie est imminente.
Pour parler de cet enregistrement hors norme et du projet, le saxophoniste Mats Gustafsson répond à nos questions.

Mats Gustafsson © Laurent Orseau

- Pouvez-vous expliquer en quoi les titres et la musique s’inspirent d’Erik Lindegren ?

Erik Lindegren a été une influence majeure pour moi depuis des années. L’un des poètes scandinaves les plus étonnants de tous les temps.
Équilibre, contenu et perspectives. Le flux, le rythme… J’entends sa poésie dans une grande partie de la musique de Fire !Orchestra. J’entends sa poésie dans la vie, dans la nature. Les titres sont tirés de certains de ses poèmes, librement altérés !

- Que sont ces ECHOES ?

ECHOES - en termes simples : ce sont les morceaux pour l’orchestre qui sont nommés avec un cadre de musique, toujours ECHOES. Les autres morceaux sont des ponts et des commentaires entre les différents ECHOES.
Les ECHOES sont des ombres. Les ombres sont des ECHOES.
D’eux-mêmes, de nous, de vous, les ECHOES sont partout et nulle part.

© Jean-Michel Thiriet

- Il est inhabituel de réunir plus de 40 musicien·ne·s pour un tel projet, pourquoi autant ?

Plus de musicien·ne·s signifie plus de voix, plus de couleurs, plus de possibilités. Plus de perspectives.
Beaucoup de couleurs pour peindre le tout. Et comme c’est le cas en musique et dans la vie, on n’en a pas besoin tout le temps mais elles sont là (ECHOES) à chaque instant. L’équilibre et la forme, c’est tout.
Nous avons fait un concert à Stockholm en octobre 2022, avec l’orchestre au grand complet, mais je doute qu’il soit possible de réunir à nouveau tout le groupe étant donné la logistique et le budget d’un tel monstre.
Nous aimerions bien, mais il n’est pas vraiment réaliste de rassembler et de voyager avec plus de 40 musicien·ne·s.
C’est vraiment un projet d’enregistrement - le testament final de ce que Fire !Orchestra est, et peut être.

Pas de compromis. En pleine face !

Nous voulions vraiment y aller à fond - tou·te·s ensemble - juste pour une fois. Et inviter tous les protagonistes musicaux que nous aimons tant. Au même endroit, au même moment, dans un VRAI bon studio d’enregistrement.
C’était spectaculaire.
Cela nous a demandé beaucoup de planification, et beaucoup d’amis ont aidé à la restauration, aux préparations et à tout le reste.
Nous allons tourner avec une version 18 membres de ce groupe en 2023 et 2024, avec quelques nouveaux ajouts français au groupe mais en jouant les matériaux d’ ECHOES.

- Que voulez-vous dire par : c’est vraiment un projet d’enregistrement - le testament final ? Testament final, c’est étrange, non ?

Ha ha - désolé, l’expression est mal choisie. C’est en rapport avec le fait que c’est notre dernier album en date. Et c’est aussi le dernier album que nous sortons chez Rune Grammofon après tant d’années. Rune prend lentement sa retraite et nous en sommes un peu tristes, bien sûr.
« Testament » fait référence au fait que sur cet album nous utilisons vraiment toutes les expériences / perspectives des dix dernières années de l’orchestre. Comme la revendication finale de ce que nous sommes ou ECHOES, si vous voulez. Échos de ce qui était là avant et de ce qui pourrait y être. Un écho fonctionne de façon mystérieuse… ce n’est pas toujours 100% du son original… se transformant en quelque chose d’autre.

« Projet d’enregistrement » - parce qu’il est presque impossible de trouver un travail (rémunéré) pour tant de gens, donc c’est un projet d’enregistrement.
Sans compromis - c’est TRÈS important pour nous.
Mais, c’est magnifique que nous l’ayons fait. À fond. TOU·TE·S ENSEMBLE.

- Il y a aussi certains instruments qui colorent la musique d’une manière spéciale (trompette à coulisse, soprillo, glockenspiel, banjo, guembri, n’goni, berimbau…), pouvez-vous expliquer pourquoi et comment vous les avez choisis ?

Des instruments spéciaux impliquent des couleurs spéciales qui s’ajoutent mais, plus important encore, cela ajoute au corps de l’orchestre les personnalités spécifiques des musicien·ne·s derrière leurs instruments. Nous avons tout bonnement choisi nos musicien·ne·s préféré·e·s pour nous accompagner lors de ces journées d’enregistrement. Cela a été l’une des sessions d’enregistrement les plus intenses et les plus spectaculaires que j’aie jamais vécues. Point final.

Pouvoir peindre la musique avec autant de couleurs à portée de main, c’était époustouflant.

Comme nous contrôlons la musique en direction instantanée, nous avons pu vraiment mélanger les couleurs de manière spontanée. Beaucoup de décisions ont été prises spontanément avec quelques instrumentations pré-planifiées. Un rêve de composition en soi. Un rêve mouillé de possibilités.

- Qui a écrit les paroles des quatre chansons et pourquoi n’y a-t-il que quatre morceaux avec des paroles par rapport à Arrival ?

C’est la musique qui a tout décidé. C’est la musique elle-même qui a contrôlé la chaîne des événements. Chaque chanteur·euse a eu un morceau, tout simplement. Nous ne l’avons pas prévu autrement. Rien n’est jamais figé au Fire !Orchestra. La musique et les personnalités individuelles dictent le flux et la forme de la musique. Les chanteur·euse·s ont écrit leurs propres textes. Cela ouvre les possibilités et ne les bloque pas dans leur créativité.
Nous avons voulu trouver un équilibre entre les chanteur·euse·s avec lesquel·le·s nous avons déjà travaillé depuis longtemps (Mariam Wallentin et Tomas Öberg ) et les nouvelles voix de l’orchestre (Joe McPhee et David Sandström) ; il en va de même pour les instrumentistes.
L’orchestre est un mélange de tous les âges, de tous les sexes et des personnes avec lesquelles nous travaillons depuis longtemps en regard de nouvelles voix et couleurs.

- À part quelques membres, la majorité de l’orchestre vient d’un pays nordique, est-ce quelque chose d’important pour vous ?

Nous choisissons tou·te·s les musicien·ne·s en fonction de ce qu’ielles sont et de QUI ielles sont, de la manière dont ielles sonnent et dont ielles interagissent avec nous.
L’origine des musicien·ne·s n’a pas vraiment d’importance. Mais, dans le cas particulier d’ECHOES, nous avons dû privilégier les musicien·ne·s scandinaves, pour des raisons logistiques et économiques.
Mais c’est plus facile aujourd’hui, puisque la scène scandinave est une scène très saine et ACTIVE, avec beaucoup de grand·e·s artistes disponibles.
L’important était d’avoir des musicien·ne·s disposant de tous leur instruments, ce qui n’est pas facile à transporter loin. Par exemple, nous avons pu demander à Per Texas Johansson d’apporter tout son bordel (basson, hautbois, flûtes, saxos et clarinettes), nous avons pu demander à Christer Bothén d’apporter tous ses instruments à cordes africains et ses grosses clarinettes, à Dror Feiler d’apporter des tas d’instruments à anches ainsi que des cloches et des métaux etc. et nous avons pu demander à tous les joueur·euse·s de vents d’apporter leurs flûtes - créant ainsi des paysages sonores uniques.
Nous voulions vraiment que tout soit accessible au studio pour avoir accès à toutes ces couleurs et à tous ces motifs et peindre avec tout cela (ou choisir de ne pas le faire !).

le Fire !Orchestra en grande formation pour ECHOES © Johan Bergmark

Ce n’est pas important de savoir d’où l’on vient, ce qui compte c’est QUI l’on est. Mais nous avons eu la chance de pouvoir réunir autant de musicien·ne·s extraordinaires, vivant relativement près de Stockholm.
Et nous avons eu la chance aussi d’inviter des hôtes de marque venus de loin (Joe McPhee de Poughkeepsie, Kjell Nordeson de San Francisco), ce qui est très important pour le résultat de la musique.
Tout cela a donné lieu à un mélange unique de personnalités ET de possibilités !

- Comment se passe le morceau « Not Yet Born. The Blind Courage of Life » ? Qu’est-ce qui vient en premier ? La partition de la partie solo ? L’arrangement des cordes ? Est-ce que tout est improvisé ? Pouvez-vous révéler le secret de sa création ?

Les secrets sont faits pour rester des secrets… ;))

En fait, tout a été enregistré en direct dans des pièces séparées. Les flûtes sont dirigées avec une direction instantanée et la partie Hammond est improvisée. Nous avons essayé quelques versions en studio et cette piste est - sans aucun doute - celle que nous aimons le plus.
La plupart des morceaux entre les grandes pièces (ECHOES) sont improvisés dans le studio et souvent avec une direction en direct, afin de contrôler la forme et le flux.