Chronique

Matthieu Donarier

Bestiaire #01|Explorations

Matthieu Donarier (ts, cl), Karsten Hochapfel (cello), Eve Risser (p), Toma Gouband (perc, dms)

Label / Distribution : BMC Records

Si on a l’habitude d’entendre Matthieu Donarier en tant que sideman de luxe, pour les orchestres d’Alban Darche entre autres, il ne faut pas perdre de vue que le multianchiste est aussi et peut-être surtout un compositeur exigeant, ce qu’il avait déjà prouvé avec Sylvain Lemêtre et Poline Renou, ou encore avec son beau trio. Mais cela faisait longtemps ; il était donc temps de réécouter Donarier dans un univers souvent coloré et empreint de beaucoup d’imagination. Un monde singulier, où son timbre de clarinette très doux et boisé fait corps avec les éléments. Dans son nouveau projet, en quartet, il fait équipe avec un autre explorateur de nature, le percussionniste Toma Gouband, ses pierres, ses branches et ses tambours : à l’écoute de « Exploration #2 : Firelight », on en prend toute la mesure, le souffle (au saxophone ténor) venant caresser la petite mécanique de frappe qui, comme un engrenage, vient impliquer Karsten Hochapfel. Le violoncelliste a déjà travaillé avec Donarier en trio avec Alexandra Grimal ; dans cette fresque naturaliste, il incarne la voix, l’humain dans toute sa fragilité.

D’exploration et de vent, il est nécessairement question dans ce premier volet d’une grande fresque intitulée Bestiaire. Le quartet, que clôt la pianiste Ève Risser, n’est qu’un des avatars de ce Bestiaire : ce sont en réalité sept musiciens qui s’articulent selon les besoins de l’histoire ; en réserve se placent Gilles Coronado, Samuel Blaser et Christophe Lavergne. Quant à l’histoire, c’est celle de Russell Twang, éthologue imaginaire avec qui nous partons à la recherche de l’infiniment petit au milieu des grands espaces. La relation entre Hochapfel et Risser est décisive : la douceur et la simplicité du premier travaillent l’impermanence debussyenne de la seconde. De la pianiste, on connaissait Des pas sur la neige. Ici, le sol est plus minéral, comme un bord de rivière, à l’image de « Restless Spin » que Gouband ponctue de courses et d’éboulis. Plus loin, « Cairns » est une forme de réponse de Donarier à la pianiste dans une plénitude presque immobile, la clarinette s’emparant d’une brise légère qui mobilise une subtile tournerie, diablement organique.

On connaissait la littérature des grands espaces américains, celle de de Cormac McCarthy ou de Pete Fromm. On ne peut s’empêcher d’y penser à l’écoute de ce premier volume du Bestiaire où Donarier nous invite, de bivouac en explorations, sur les pas de son bien étrange personnage dont on ne sait trop rien pour le moment, sauf qu’il aime la solitude et les reliefs, ces atmosphères nécessairement contemplatives qui, de Wood à Kindergarten, définissent à merveille la musique de Donarier, bien en pivot entre écriture et improvisation. Ces grands espaces, le quartet les fait siens et les visite avec le souci permanent de l’écoute collective. Enregistré à Budapest pour BMC au cœur du brûlant mois d’août 2021, Bestiaire #01|Explorations est un disque ambitieux et poétique qui donne immédiatement envie de suivre la belle boussole de Russell Twang pour découvrir où il s’en va. Le vent qui le porte, on le connaît. C’est celui de Matthieu Donarier.