Chronique

Matthieu Donarier Trio

Papier Jungle

Matthieu Donarier (s), Manu Codjia (g), Joe Quitzke (dm)

Label / Distribution : Yolk Records

Quinze ans après ses débuts, le trio de Matthieu Donarier récidive avec un disque qui n’est en rien une somme, mais le prolongement d’une aventure humaine et musicale. Sans plus avoir à se chercher, les trois musiciens profitent, en effet, de cette longue expérience commune pour affermir leurs propres modalités de jeu et s’élancer vers de nouveaux territoires.

Si cette densité supplémentaire constitue un jalon, on retrouve bien sûr toute l’identité de cette formation. Toujours adepte des échos clairs qui s’étirent comme de longues traînes, Manu Codjia peut, selon la nécessité du moment, prendre la parole ou, dans le temps d’après, tenir la basse sans aucun effort apparent. Donarier développe une sonorité sobre, presque austère (quoique moelleuse dans les graves et plus large qu’auparavant), qui trouve sa place dans l’écrin que lui réserve le guitariste. Sans jamais se laisser aller à des performances saxophonistiques, il peut se contenter d’appuyer la rythmique par des ostinati secs et incisifs (“The Hunt”) ou conduire des improvisations concises et capiteuses. Leurs échanges permanents facilitent la circulation des sons par des mouvements aussi coulants que décisifs qui renouvellent constamment l’attention de l’auditeur. Derrière ses fûts, enfin, les silences de Joe Quitzke ont autant d’importance que ce qu’il joue. Il est le gardien de l’homogénéité du propos, et ses liserés percussifs, qui soulignent le pourtour des phrases, deviennent vite des grondements secouant l’architecture des morceaux dans les moments stratégiques.

Si cette gymnastique musicale plus efficace que jamais traversait déjà le reste d’une discographie aussi maigre qu’exemplaire, la cohérence du répertoire participe pleinement à la réussite de Papier Jungle. Après Optic Topic (2005) puis Live Forms (2009), le travail d’écriture ou d’arrangement affirme en effet le leader comme une des grandes voix personnelles de notre époque. Ce disque, qui débute avec vivacité par “Bleu céleste” (signé par Alban Darche à l’occasion de cet anniversaire) pour évoluer ensuite vers des atmosphères teintées d’une mélancolie hypnotique, douloureuse sans être dolente, est avant tout un disque de chant. Que ce soit “La lugubre gondole” de Franz Liszt ou “Pièce froide” d’Erik Satie, qui se joignent au répertoire général avec une facilité confondante, ou bien le discours parcellaire mais jamais statique de “Limbs”, c’est tout un art de la mélodie qui se révèle, et les méandres savants, nerveux ou languides qui pénètrent l’esprit dévoilent alors un imaginaire et une profonde intimité.