Chronique

Mazzoll / Janicki / Mitchell / Janicki

Four Sure

Jerzy Mazzoll (bcl, cl), Roscoe Mitchell (ts, ss), Sławek Janicki (b), Qba Janicki (dms)

Label / Distribution : Bocian Records

Plongée immédiate et profonde au cœur de la scène free polonaise : voilà ce à quoi nous invite Four Sure. Le guide qui nous ouvre la voie est chevronné : Roscoe Mitchell, avec ses cinquante années de scène au compteur, connaît tous les coins et le recoins de l’improvisation mondiale ; s’il est entendu que Chicago est une vigie, il a eu le temps d’aller à la rencontre de ses présents compagnons. Nul doute qu’il avait déjà entendu le clarinettiste Jerzy Mazzoll et le contrebassiste Sławek Janicki dans une visite du Out To Lunch de Dolphy avec Arhythmic Perfection à la fin du siècle dernier, nul doute également que la tension inhérente au jeu de ces improvisateurs polonais sied à son approche. « One Sound Part III » en est l’illustration, où le son continu et perçant de son saxophone sert de matériau à sculpter, à creuser ou à altérer par une clarinette basse puissante et fiévreuse et une contrebasse qui joue de l’ensemble de sa matière, de la patine vernissée de son bois au claquement sec du chevalet.

La vraie découverte réside dans la prestation du batteur Qba Janicki, frère du contrebassiste. Bien sûr, il était des précédentes aventures de Mazzoll, comme dans le disque Minimalover, sorti en 2011, mais sa batterie mâtinée d’électronique explose littéralement dans ce disque. « Third Sound » notamment est l’occasion de constater avec quelle rage il entre dans une bataille rangée avec ses compatriotes. Il y a une complicité avec le contrebassiste qui ne se dément pas, mais en instillant une distorsion du son en surplus de son jeu nerveux, il dynamite consciencieusement le propos, laissant place à une grande excitation qui retombe comme un soufflé dans « Trans » qui lui fait suite, Roscoe Mitchell reprenant le dessus avec la sérénité des maîtres. Le feu couve, dans les sons synthétiques comme dans la puissance de la basse. L’énergie se régénère.

Enregistré en 2015 au festival Mózg, dans la petite ville de Bydgoszcz en Poméranie, Four Sure ne se contente pas de témoigner d’une rencontre. Certes, « One Sound Part I » est une belle illustration des forces en présence. Évidemment, « For Love » est une frénétique démonstration de force où les deux soufflants se montrent des plus turbulents, campés sur une rythmique puissante que ne renieraient pas certaines formations punk. Mais c’est surtout l’occasion d’aller plus loin dans la découverte de Jerzy Mazzoll, point central du free polonais depuis la chute du rideau de fer dans les années 90, fer de lance du mouvement Yass qui refusait en bloc l’autoritarisme des deux blocs. Une musique farouche et puissante qui s’expose ici sous son meilleur jour.

par Franpi Barriaux // Publié le 13 juin 2021
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