Chronique

Mehliana

Taming the Dragon

Brad Mehldau (elp, synth) Mark Guiliana (dm, fx)

Label / Distribution : Nonesuch / WEA

Les sonorités de claviers vintage sont à la mode, Fender Rhodes en tête. Mais Brad Mehldau parlait depuis longtemps déjà de triturer les sons de claviers électriques à sa façon, et s’y était d’ailleurs essayé ponctuellement (sur Largo et Highway Rider).

Lui que certains voyaient dès ses premiers albums comme un héritier de Bill Evans, ce qui est discutable, fait montre ici d’un ancrage bien affirmé dans son époque ; en effet, malgré les instruments vintage, Mehliana ne relève en rien du revivalisme des années 70, auxquelles on associe souvent ces claviers.
Il s’y attelle enfin de manière pleine et convaincante en compagnie d’un des batteurs les plus intéressants de la scène new-yorkaise actuelle, Mark Guiliana.

Les amateurs de la nébuleuse Wayne Krantz et du 55 Bar connaissent déjà bien ce musicien très recherché, moderne et inventif. On le trouve par exemple sur l’excellent Casting for Gravity de Donny McCaslin (2013), et ses disques personnels, Heernt et Beat Music, valent le détour. Il donne libre cours ici à son intelligente virtuosité, et son jeu s’imbrique parfaitement dans les entrelacs des claviers.

Mehldau, lui, varie les ambiances, mêlant avec aisance grosses basses Moog, Rhodes et claviers planants. A aucun moment les nappes de synthétiseurs ne semblent envahissantes ; bien au contraire elles nous enveloppent, bienveillantes, et parviennent souvent à nous faire décoller avec les musiciens.

Ce pari réussi du passage à l’électricité, nos oreilles en sont encore toutes étourdies. Si vous êtes allergiques aux synthés, ne passez surtout pas votre chemin. Il se peut que ce duo vous réconcilie avec un instrument souvent cantonné, dans l’histoire du jazz, à la fusion des années 70-80 ou à l’électro-jazz des années 90. Car le talent des deux musiciens est justement de ne pas donner dans l’électro qui fait du jazz, et encore moins dans le jazz qui fait de l’électro... Ce ne sera sans doute pas la dernière tentative de Brad Mehldau en ce sens.

Voir le duo en vidéo.

par Michael Parque // Publié le 24 février 2014
P.-S. :

A noter le titre « Gainsbourg », sans doute un hommage sincère, mais qui semble maladroit, ou tout au moins superflu.