Chronique

Michel Butor / Marc Copland

Le long de la plage

Michel Butor (voc), Marc Copland (p)

Label / Distribution : Vision Fugitive

Paru sur Vision Fugitive, le nouveau label de Philippe Ghielmetti, Philippe Mouratoglou et Jean-Marc Foltz, Le long de la plage est un disque singulier. Un objet-miniature entre texte et musique, à la distribution étonnante et à l’histoire singulière. Voici deux artistes que rien ne devait réunir et qui se complètent à merveille, comme s’ils s’éprenaient de la même musique intérieure. Stéphane Oskéritzian raconte dans les notes d’une luxueuse pochette cette rencontre dont il est à l’origine : à droite, Marc Copland, pianiste-poète américain, avide de grands espaces et de pondération. Son toucher sait dessiner en quelques effleurements de profondes eaux-fortes. À gauche, Michel Butor, voyageur-poète français dont les textes à la finesse de sable ont déjà rencontré de nombreux plasticiens. Cette figure du Nouveau Roman a déjà évoqué la musique en critique exigeant, mais jamais encore il n’y avait posé ses mots. Au centre, une sensibilité commune pour l’errance et la contemplation qui a pour horizon les vagues…

L’idée de faire lire à Michel Butor ses propres poèmes, écrits pour l’occasion, aurait pu paraître saugrenue ; or, c’est un coup de maître : à 87 ans, l’écrivain fait lecture de ses textes d’une voix neutre et sans scories. Sur cette rythmique particulière, Marc Copland investit chaque mot. Il n’accompagne pas le texte, il le complète. Il n’articule pas le propos, il l’habille. Pour le si sensible « Air marin », il insinue dans le texte une musique liquide qui fait songer aux Portraits debussyens et laisse sur les poèmes des sédiments lyriques qui les érodent à merveille, leur donnant de nouvelles dimensions. « L’histoire que nous raconte la musique va et vient change un détail puis ajoute un épisode oublié » dit Butor, dont les textes se disloquent parfois en haïkus friables, tout en gardant une structure solide. Le propos impressionniste de Copland s’inscrit dans la veine de son solo Alone [Pirouet] ; mais ici l’écrivain habite chaque anfractuosité et donne du relief aux silences. Le long de la plage, chacun guide les pas de l’autre sans l’étreindre, prêt à embarquer en solitaire vers d’autres horizons.

Si la mer inspire les deux hommes, c’est qu’elle est le lieu du libre espace et de l’éphémère renouvelé. Sur « Randonnée I et II », on suit le narrateur jusqu’au bout de son voyage qui semble sans fin. De quelque côté que soit la mer, dans ce tour d’un monde par la côte, on s’émerveille de chaque lieu, fût-il fugitif. En replongeant, plus tard, dans ce disque très court, on découvrira de nouveaux paysages, comme ces dessins de sable balayés par la mer. Le long de la plage est un disque rare ; il nous est donc cher.