Sur la platine

Michel Delville, mauvais objet et bon sujet

Michel Delville, Zappa Jazz Machine


Imaginons un instant que Frank Zappa soit belge. Serait-il né à Amougies [1] ? Ou alors, sous un faux nom, se serait appelé Michel Deville, guitariste zappaïen né à Liège la même année qu’Amougies. Un signe ? En tout cas, avec son orchestre Wrong Object, il rend hommage depuis plus de 10 ans au divin moustachu. Et s’en détache quelque peu avec Into The Herd, un nouvel album qui se plaît à se jouer du troupeau.

On aimerait dire que la découverte de Zappa par Michel Deville est nouvelle, tant il met d’enthousiasme à la relecture. Mais un premier disque - avec le trompettiste liégeois Jean-Paul Estiévenard, du collectif du Lion - proposait déjà « Big Swifty » en 2008 aux célèbres Zappanales allemandes d’été, lieu de culte fameux. Dans Zappa Jawaka, disque sorti 10 ans plus tard, l’orchestre reprend le morceau avec une certaine jubilation. Le batteur Laurent Delchambre est absolument en feu, et l’orchestre s’amuse : la basse de Pierre Mottet, central dans cet ensemble, tient une maison où les saxophones (Marti Melia et François Lourtie) n’hésitent pas à laisser leur ADN jazz dans la plupart des mouvements. La guitare de Delville n’est qu’un élément parmi d’autres, qui dirige avec une grande souplesse. La joie des terrains familiers.

Michel Delville aime le Zappa bigarré qui embrasse autant le rock que la musique écrite occidentale, ce que l’on mesure dans « This Town is a Sealed Tuna Sandwich / The Sealed Tuna Bolero » où un lyrisme rigolard masque mal le plaisir pris à chercher les harmonies les plus acrobatiques. The Wrong Object n’est pas là pour faire du cover bête et méchant, en témoignent les libertés prises avec « Mr Green Genes / King Kong » où la basse de Motet comme le clavier d’Antoine Guenet prennent nombre de libertés avec l’original, insufflant force lectures jazz.

C’est dans cette même direction qu’évolue Into The Herd. Lorsqu’on écoute « Rumble Buzz », avec sa base rythmique puissante et sa guitare adepte des rodomontades, on se croirait dans un morceau de Zappa. Ça cogne, ça râle, mais l’orchestre sait aussi se faire plus doux, sans être sirupeux (« Mango Juice »). Avec The Wrong Object, Delville s’amuse davantage qu’avec sa Machine Mass. Il joue avec les codes, laisse beaucoup de place à la rythmique et ne renie pas quelques envolées rock. Une douceur pleine de ressources.

par Franpi Barriaux // Publié le 22 septembre 2019

[1village d’outre-Quiévrain où eut lieu un festival animé par Zappa en 1969, NDLR.