Chronique

Michel Edelin Quintet

Echoes Of Henry Cow

Michel Edelin (fl), Sophia Domancich (p, kb), Sylvain Kassap (cl), Stéphane Kerecki (b), Simon Goubert (dms) + John Greaves (voc).

Label / Distribution : Rogue Art

Avis aux amoureux de l’École dite de Canterbury, en d’autres termes ce mouvement musical, quelque part entre jazz et rock progressif, né en Angleterre durant la deuxième moitié des années 60 et dont les grandes figures avaient pour nom Soft Machine, Caravan, Hatfield & The North ou bien encore Henry Cow [1] : voici un disque qui pourrait bien vous intéresser… Car le flûtiste Michel Edelin, lui-même impliqué il y a longtemps maintenant dans un Triode [2] que les spécialistes rattachaient à cette école, a choisi de rappeler Henry Cow à notre bon souvenir, sous le titre de Echoes Of Henry Cow. Les deux formations partagèrent d’ailleurs l’affiche du festival Nancy Jazz Pulsations en 1975 [3].

Henry Cow avait inventé un monde étrange et débridé, bien à lui, capable de convoquer des compositions complexes et très écrites à l’énergie rock, en même temps que de folles improvisations scéniques hors de tout contexte mélodique, décochées dans un décor suranné façon salon avec canapé, lampadaires et autres babioles inattendues. Un intérieur So British dans lequel on pouvait parfois retrouver un certain Robert Wyatt. Une formation atypique – ah, ses trois premiers albums dont les pochettes étaient ornées d’une grande chaussette ! – emmenée entre autres par les flibustiers que sont Fred Frith, Chris Cutler, Tim Hodgkinson ou John Greaves. C’était là une famille artistique faussement foutraque à laquelle appartenait aussi le groupe Slap Happy (tous deux s’uniront sur les albums Desperate Straights et In Praise Of Learning) ainsi qu’Art Bears, formé plus tard par Cutler et Frith avec Dagmar Krause, chanteuse… de Henry Cow.

Mais Henry Cow ne constitue que le point de départ - le stimulus, en quelque sorte - de ce qui est non pas une relecture de son œuvre, mais un reflet distant et proche à la fois, aux couleurs du jazz, libertaire comme savait l’être la drôle de musique des Anglais, tout en affichant d’abord celles de la musique tout aussi libre de Michel Edelin.

Le flûtiste ne s’est pas trompé dans le choix des musiciens qui l’entourent, car tous ont manifesté depuis belle lurette leur indépendance d’esprit et leur ouverture à des horizons multiples : on trouve à ses côtés Sophia Domancich (une musicienne très proche de l’École de Canterbury), Simon Goubert, Stéphane Kerecki et Sylvain Kassap, auxquels vient se greffer un invité de luxe en la personne de John Greaves qui n’est pas ici bassiste comme autrefois mais récitant de textes signés pour l’essentiel par Chris Cutler.

Le répertoire est tiré non seulement des albums de Henry Cow, mais aussi de ceux d’Art Bears. Le flûtiste y est allé, de son côté, de deux compositions, histoire de dessiner discrètement les contours de sa relation personnelle entre la musique de Henry Cow et la sienne. Une écoute répétée d’Echoes Of Henry Cow permet de percevoir toute la sensibilité d’une évocation qui n’est jamais appliquée. Si l’on devine l’admiration que le quintet porte à une musique inclassable que les exégètes identifieront de manière parfois fugitive (et c’est là qu’il faut bien entendre l’idée d’un écho : ainsi sur la reprise de « Beautiful As The Moon », sans doute le sommet de l’album), on comprend très vite qu’il s’agit ici de dépasser l’inspiration et d’ancrer le propos dans un idiome qui porte les couleurs d’un jazz contemporain.

On pourrait reprocher au groupe d’avoir perdu la « folie » de Henry Cow et Art Bears et ce serait une erreur : parce que celle-ci n’appartenait en réalité qu’à ses géniteurs et s’avère sans doute intransmissible. Il serait vain, par conséquent, de chercher à la reproduire, au risque de l’affadir. Il est beaucoup plus juste de penser que 40 ans après la fin de cette histoire anglaise, le quintet de Michel Edelin fait resurgir la musique de Henry Cow à travers son propre langage, empreint d’un amour vrai pour l’imagination qu’elle continue de transporter.

par Denis Desassis // Publié le 15 septembre 2019
P.-S. :

[1Pour tout savoir sur l’École de Canterbury, on lira avec profit l’ouvrage homonyme d’Aymeric Leroy, qui signe par ailleurs les liner notes du disque Echoes of Henry Cow, aux éditions Le Mot et le Reste.

[2C’est à l’occasion de la réédition de l’album de Triode chez Souffle Continu que l’idée de Echoes Of Henry Cow a germé dans l’esprit de Michel Edelin.

[3Ce même NJP qui programme le quintet de Michel Edelin et Echoes Of Henry Cow dans le cadre de son édition 2019.