Portrait

Michel Mainil : espoir, audace et liberté

Saxophoniste, clarinettiste, Michel Mainil est présent sur la scène jazz belge depuis les années 70. Portrait d’un musicien fidèle à ses engagements et passionné de transmission.


Michel Mainil © Michel Delcampo

Sur sa biographie officielle, Michel Mainil souligne qu’il est natif de La Louvière, « berceau du surréalisme belge ». C’est là en effet que naquit le groupe Rupture, marqué par la figure du poète Achille Chavée, qui mariait militantisme artistique et engagement politique. Il ne s’épanche guère pourtant sur les liens qui l’unissent à l’histoire de ce mouvement né dans les premières années des convulsions européennes. Quoique…

« Je crois qu’un artiste est par nature quelqu’un d’engagé », déclarait Michel Mainil dans une interview il y a plusieurs années. « Pour monter sur une scène, composer, écrire, peindre, il faut être quelque part engagé. Tout en refusant, comme le disait Léo Ferré, de s’engager pour qui que ce soit ».

Cet engagement-là s’entend, dès les premières mesures, dans le son du saxophone ténor : dense, rond, solide. Il est manifeste également dans son parcours de pédagogue, de passeur : professeur en Académie et en Ecole des Arts et du Spectacle, il anime d’innombrables stages, notamment pour le Gaume Jazz Festival : « Ma passion pour le jazz, explique-t-il, a débuté à l’âge de 16 ans. Je lui suis fidèle depuis lors. Ce que j’apprécie le plus, c’est de partager cet attachement. Susciter l’intérêt, l’envie de découvrir cette musique, parfois par une approche anecdotique. Partir du potentiel de chacun, quel que soit son niveau, et l’aider à progresser musicalement, notamment par le biais de l’improvisation, est quelque chose qui m’est cher. Et le résultat obtenu est souvent surprenant ! »
« La musique de jazz, l’improvisation, est, à mon sens, difficile à transmettre. C’est une musique dont les principes, parfois inexprimables, nécessitent une certaine démarche de curiosité…
Bien entendu, on peut aisément transmettre les bases théoriques, une méthode de travail, des pistes, des indications diverses, mais il faut quand même avouer que l’essentiel de cette musique, ce qu’il conviendrait peut-être d’appeler swing ou feeling, reste mystérieux. »

Décidément altruiste, il a mis à profit la période de confinement pour publier une newsletter pas comme les autres, qui célèbre non pas sa propre musique mais celle de ses confrères musiciens, passés ou présents. Une collection de courtes chroniques que l’on pourra retrouver sur le site Jazz Hainaut.

Michel Mainil © Robert Hansenne

Si sa production s’inscrit dans un jazz classique, Michel Mainil multiplie cependant les rencontres aventureuses : collaboration avec Barre Phillips au sein d’un quartet mené par la pianiste Véronique Bizet, rencontre avec Lol Coxhill lors d’un concert entièrement improvisé (« Son écoute et son rapport au silence étaient remarquables »), instrumentations parfois étonnantes comme sur l’album Between Two Solstices (2012) où il adjoint à son quartet un DJ et un violon électrique…

D’un séjour de deux ans au Cameroun, où il a pratiqué le makossa avec des musiciens du cru, il garde le souvenir d’une expérience unique. Quelques années plus tard en 2007, la tournée « Mali Mali » du pianiste Éloi Baudimont en compagnie d’une centaine de choristes et musiciens réunis autour du percussionniste et griot Baba Sissoko l’emmène en France et en Belgique « avant de nous envoler, avec tout ce beau monde, vers le Mali pour une série de concerts à Bamako et à Ségou, sur les rives du fleuve Niger. Cela reste aujourd’hui une aventure humaine et musicale d’une grande richesse ».

« Depuis toujours », note-t-il en effet, « une des particularités du jazz est son ouverture constante sur le monde. C’est ce qui fait sa richesse. Que ce soit Getz avec la bossa nova, l’influence de musiques folkloriques les plus diverses chez Jan Garbarek ou encore des sonorités et des concepts de la M-Base chez Steve Coleman, tous ces apports ont permis au jazz de s’enrichir et lui ont procuré un nouveau développement. Le jazz aurait certainement stagné sans ces métissages. »

Curieux de nature, Michel Mainil s’est intéressé de près à d’autres formes artistiques comme le théâtre, la danse ou le cinéma. « Presque naturellement », note-t-il, « j’ai eu envie d’apporter ma petite pierre à l’édifice en composant des musiques. Là, il ne s’agit pas de jazz mais bien de musiques adaptées à des contextes précis, en regard avec les images ou les propos qu’ils suscitent ». Une soixantaine de musiques de scène ou de cinéma en témoignent.

Parmi les nombreuses formations qu’il dirige ou codirige, on note sa collaboration avec la chanteuse belgo-andalouse Lisa Rosillo, où l’on retrouve l’engagement qui lui est cher : Spanish Jazz Project il y a quelque cinq ans (« El Quinto Regimiento » et « Hasta Siempre » étaient au menu), et maintenant l’album Victor Jara, un poète au chant libre, arrangé par le pianiste Alain Rochette, qu’il a fini d’enregistrer juste avant notre échange, et qui sortira fin 2020 sur le label Travers Emotion.

Michel Mainil vient également de mettre la dernière main à une biographie du contrebassiste et violoncelliste José Bedeur. « Musicien tout terrain, très actif depuis plusieurs décennies dans un grand nombre de projets, il existe peu de littérature sur ce personnage à la fois talentueux et attachant. Ce sera chose faite. »

Le jazz belge au temps de la Covid-19 ?
« Heureusement (ou malheureusement ?), nous vivons un siècle où la surproduction est de mise. Chaque année qui passe voit naître, ici et partout dans le monde, un nombre incalculable de jeunes musiciens. Ils sont souvent des plus talentueux. Au fil des ans, cette abondance de musiciens, favorisée par une démesure de moyens de communication, provoque une dynamique créative sans précédent. Et c’est tant mieux !
Aujourd’hui, suite à la crise sanitaire que nous traversons, tout est à l’arrêt ou presque. Espérons qu’au lendemain de cette période léthargique, le jazz se portera à nouveau bien. C’est tout ce que je souhaite pour l’avenir à cette belle musique. Puisse-t-elle être toujours synonyme d’espoir, d’audace et de liberté. Nous avons encore un sacré bout de chemin à faire ensemble… »