Chronique

Michiel Braam

Gloomy Sunday

Michiel Braam (p)

Label / Distribution : BMC Records

Le pianiste néerlandais Michiel Braam n’est pas, en France, le plus célèbre de ses concitoyens improvisateurs. Pourtant voici 30 ans qu’il développe son jeu puissant mais subtil. Il fait partie depuis de nombreuses années du trio BraamDeJoodeVatcher, l’un des plus excitants du continent. Braam n’est pas l’homme d’un seul projet, puisqu’on a pu l’entendre également aux côtés de la fine fleur de la scène batave, à commencer par Han Bennink ou Wolter Wierbos. Par ailleurs compositeur apprécié, il a notamment écrit pour Theo Jörgensmann, Louis Sclavis ou encore collaboré avec George Lewis ou Conny Bauer…. De quoi se convaincre de porter une oreille attentive à ce concert.

Gageons que ce solo enregistré au Jazz Club du Budapest Music Center contribuera à sa renommée. « Q1 », tiré de son Q Project mené avec son habituel trio en témoigne ; ce blues qui s’extrait d’une cavalcade dans les profondeurs du piano est plein de rebondissements. Ces derniers ne tirent pas seulement leur force de la rigueur rythmique. Oui, le pianiste aime les basses et a la main gauche ferme, mais il ne perd jamais l’occasion d’être souple et élégant en solo comme il sait le devenir en trio. Un autre exemple avec « Opus Search », où les accords se font parcimonieux, soupesés avant d’être plaqués avec une infinie douceur. Il y a beaucoup de retenue et d’émotion dans ce concert donné en l’hommage d’un élève disparu ; certes, « Memories of You », reprise d’Eubie Blake, est un moment d’euphorie - celui du souvenir joyeux qui revient toujours à l’esprit - mais les morceaux signés Braam sont empreints d’une certaine mélancolie, à l’instar d’« Eliza », petite valse douce-amère d’Europe Centrale qui doit beaucoup à l’impressionnant bagage classique du pianiste.

Intituler son solo Gloomy Sunday à Budapest, c’est convoquer à domicile des âmes familières. Lorsqu’il entame le standard de Reszö Seress, seul Hongrois répertorié dans le Real Book, son jeu soudain plus délié et plus concertant travaille le thème, s’inspire des lieux, qu’il connaît bien. C’est en Hongrie que Braam enseigne, et c’est le pic mémoriel du disque. Ce standard, il ne le livre pas tout nu. Il l’habille même avec un certain soin et beaucoup de pudeur. « Gloomy Sunday » s’inscrit dans un déroulé qui respecte presque inconsciemment les étapes du deuil : colère, déni, mélancolie, chagrin et enfin raffinement des souvenirs heureux tel ce « Cuba, North Rhine Westphalia » espiègle qui clôt un album où les morceaux courts suggèrent un bouquet de sentiments captivants.