Chronique

Miklós Lukács

Timeless

Miklós Lukács (cymbalum).

Label / Distribution : BMC Records

Fasciné par le concept du temps, le joueur de cymbalum Miklós Lukács avait déjà interrogé sa dimension philosophique avec son beau trio Cimbiosis, et nous avait accordé un entretien à cette occasion. Lukács a toujours emmené son cymbalum dans toutes les flèches du temps : en duo dans un contexte plus folklorique avec Mihály Dresch (Labirintus) ou classique avec une lecture de l’œuvre de Bartók. Mais pour la première fois, avec Timeless, il propose un exercice rare, voire inédit : le solo de cymbalum, avec toujours cette volonté de questionner la temporalité, le chambrisme, et de jouer sur les tableaux mélodiques comme rythmiques, voire de varier subtilement entre toutes ces données d’un instant à l’autre comme pour retenir un temps fatalement suspendu.

C’est l’enjeu de « Somewhere Over The Rainbow », qui est proposé parmi d’autres standards. Le thème n’est pas direct, il s’offre ce qu’il faut d’errance pour s’exposer dans une sorte de rêve nébuleux : Lukács joue d’abord de ses mailloches comme s’il s’agissait du mécanisme d’un boîte à musique fragile ; il agit ainsi à la manière qu’ont les harpistes de jazz (il n’est pas question de jouer les cascades harmoniques et les virtuosités déplacées). Le jeu du soliste est pur, limpide et simple, il s’offre juste le temps d’entrer dans le thème, et de lui fournir sa dose de mélancolie. C’est diablement hongrois, sans pour autant aller chercher des traditionnels ; seule la lecture du « Gloomy Sunday » de Seress, gorgé de spleen comme il se doit, évoque le patrimoine magyar, Lukács lui préférant Morricone et une très belle lecture du « Deborah’s Theme » de Once Upon A Time In America, rapprochant davantage son instrument du piano. Délicieusement hybride, avec des clins d’œil et des hommages à la musique contemporaine, l’émouvant « Aura » dédié à Eötvös en témoigne.

C’est avec « Norwegian Wood », ce titre des Beatles écrit par Lennon et où Harrison s’essaie pour la première fois au sitar que le solo de Lukács touche à son but, celui de rassembler tous les faisceaux du temps pour nourrir le seul qui compte, celui, subjectif, de l’intime. Le cymbalum est joué avec beaucoup de douceur et de soin offert à la mélodie, mais quelques frottements de cordes viennent donner du mouvement et une forme d’intemporalité. Comme le sitar, le cymbalum est un pur produit de la route de la soie ; Miklós Lukács vient nous offrir une musique de voyageur. Du temps comme du reste.