Portrait

Miles Davis sur la Côte d’Opale

Évocation de Miles Davis par Patrick Dréhan.


Miles en CX

Patrick Dréhan, le directeur actuel du Tourcoing Jazz Festival / Planètes a dirigé le Festival de la Côte d’Opale pendant trente-trois ans. C’est dans ce cadre qu’il a programmé Miles et découvert un homme différent de sa légende.

- A quelle(s) occasion(s), Patrick Dréhan, avez-vous invité Miles ?
J’ai invité Miles deux fois. En 1988 au Touquet et en 1990 à Boulogne-sur-Mer. C’était dans le cadre du festival de la Côte d’Opale, donc au mois de juillet. Il y avait au même programme, dans l’édition 88 du festival, James Brown, Ray Charles, Michel Jonasz (La Fabuleuse Histoire de Mister Swing). En 1990, c’était le dernier concert.

- Comment s’est organisé le concert de 1988 ?
Sans difficulté. Mon interlocutrice à l’époque, Simone Ginibre, était très compréhensive. En 1988, j’étais affolé par le problème de la limousine climatisée, qui n’existait pas ici à l’époque. Un ami, le rédacteur en chef de la Voix du Nord à Etaples, m’avait prêté sa CX et je ne savais pas vraiment comment tout cela fonctionnait. Miles, en descendant de l’avion à Lille-Lesquin, s’est posté devant la voiture et a dit : « Is this a car ? »

Miles en CX - Photo : archives Patrick Dréhan

- Comment ça s’est passé avec Miles (sur scène et avec vous) ?
Formidablement. Il y avait, en 1988, beaucoup de journalistes nationaux qui m’ont dit que c’était le meilleur concert de sa décennie. Il a joué près de 2 heures et pratiquement sans jamais tourner le dos. Moi, j’ai eu avec lui un rapport extraordinaire. Je l’ai emmené, le lendemain du concert, à Roissy. Le voyage a été pénible, il pleuvait, il n’y avait pas encore d’autoroute à l’époque. Quand je me suis excusé d’une conduite un peu heurtée en arrivant - il avait été malade durant le voyage - il m’a simplement ouvert ses bras et m’a embrassé. En 1990, en passant devant le site où devait se construire le tunnel sous la Manche, je lui ai expliqué ce qui allait se passer. Je lui ai demandé s’il accepterait d’écrire quelque chose pour l’ouverture. Il m’a donné son adresse sur une serviette en papier. Je l’ai toujours. J’ai raconté toutes ces anecdotes dans un livre de photos légendées, Accords et âmes, que j’ai sorti pour le 25e anniversaire du festival.

- Quel(s) disque(s) retenez-vous dans votre panthéon personnel ?
In a Silent Way (1969) et Tutu (1986). Tout ce que j’aime chez Miles est, pour moi, résumé dans ces deux albums, controversés par les puristes. J’ai découvert dans les années 80, nul n’est parfait, In a Silent Way qui date de la toute fin des années 60. Cet album est même un peu tombé aux oubliettes alors qu’il signe les prémices du jazz-fusion. John McLaughlin et Joe Zawinul y apparaissent. Je le trouve d’une très grande richesse. Quant à Tutu, il me semble vraiment faire la synthèse des années 80 chez Miles. On y voit surgir Marcus Miller, que j’aime infiniment. Il y a une utilisation plus importante des claviers, synthés, c’est funky, R&B… Miles savait anticiper l’air du temps et tout est là , en même temps que le message politique (Desmond Tutu, Mandela, etc.). Je les écoute encore régulièrement et ne m’en lasse pas.