MilesDavisQuintetOrchestra !
Stretchin’ With
Xavier Camarasa (p, perc) Valentin Ceccaldi (cello), Emilie Škrijelj (acc), Christine Abdelnour (ts), Michael Thieke (cl, bcl), Sylvain Darrifourcq (perc, objets).
Label / Distribution : Hector Label
Lorsqu’il est sorti en 2015 sur le label nordiste BeCoq, le MilesDavisQuintet ! n’a d’abord pas fait plus que ça parler de lui. Œuvre de trois musiciens très créatifs et versés dans une approche assez expérimentale autour du batteur Sylvain Darrifourcq, il aura fallu plusieurs années pour qu’on apprécie ce disque à sa juste valeur. Au-delà de la galéjade du titre, Shapin’ With en trio, avec sa musique répétitive sans autre ornement que l’entropie créée, interrogeait la forme comme le fond et s’imposait comme une pièce majeure de la décennie. Xavier Camarasa au piano, tout comme Darrifourcq, n’a cessé de chercher dans cette direction, trouvant la poésie dans les matériau les plus bruts. De son côté, le violoncelliste Valentin Ceccaldi a su pousser son instrument dans des retranchements que les techniques étendues rendent possibles. Mais pour aller plus loin, il fallait que le MilesDavisQuintet ! grandisse ; et le voici devenu MilesDavisQuintetOrchestra !, mutant en sextet. Prenez des notes.
Avec Christine Abdelnour au ténor et Michael Thieke aux clarinettes (entendu avec Magda Mayas), Stretchin’ With investit dans les soufflants. Donner plus de chaleur ? Ce n’est pas une notion importante dans ce travail d’agencement des sons, de cycles fascinants qui s’enchaînent dans leur fantasme d’immobilité mouvementée. Sylvain Darrifourcq s’emballe, fait vrombir de petits moteurs sur la caisse claire pour créer une nappe étouffante. À ses côtés, la formidable Émilie Škrijelj utilise son accordéon comme à l’accoutumée, une acmé sensible qu’on frotte ou qu’on gifle pour exacerber les émotions. « Shape in Time », la pièce la plus longue, souligne un projet qui questionne le temps et sa perception. Stretchin’ With est aussi une expérience neuroscientifique et musicologique en lien avec l’Ircam : chaque musicien était équipé d’un capteur cérébral pour mesurer la résistance à la synchronisation, l’ennemie jurée de cette ode au décalage.
Pour écouter MilesDavisQuintetOrchestra ! dans des conditions optimales, il faut arriver à faire avec l’oreille ce qu’on sait faire avec les yeux : décentrer. Faire le focus ailleurs, et profiter d’une autre réalité. Il existe, dans les vieilles usines de confection, des machines-outils qui, en filant toutes ensemble, peuvent donner un sentiment de spatialisation et de fugue ; c’est la même sensation que procurent Darrifourcq et ses camarades dans cette œuvre faussement désincarnée qui s’impose comme l’un des disques les plus puissants de cette année.