Scènes

Missive transatlantique

comment le jazz se porte t’il de l’autre côté de l’océan ?


Cette missive reçue de notre correspondante new yorkaise inaugure la rubrique américaine de Citizen Jazz. Véronique Pernin vit et joue à New York City.

Chers amis,

Le temps des Cerises est fini… le Jazz est toujours en vie mais différemment, sans idéologie claire, comme le reste du monde. L’idéologie d’aujourd’hui, c’est l’abolition des frontières.

Et comment le jazz se porte t’il à New York ?

Pas mal, mais il est difficile d’en vivre pour les musiciens. La compétition est bien plus rude qu’en Europe et la protection sociale moins douce. Mais le jazz se joue partout à tous les niveaux, depuis des petits bars comme « Detour » ou le « Smalls » où l’on peut jammer le soir, jusqu’aux monstres bien connus que sont le « Birdland », le « Blue Note » et bien sûr le « Village Vanguard » (« 45 minutes et pas plus »).
Il y a aussi quelques laboratoires comme la « Knitting Factory » dans Tribeca où l’on ira ecouter de tout, absolument de tout : les nouveaux entrants, les nouveaux sortants, les ayatollahs du jazz, les abstraits ou les figuratifs intello, ainsi que des coktails-fusion (rock-jazz, rap-jazz, techno-jazz…) sur les plusieurs étages de l’ancienne factory.

A travers ce petit voyage, on apprend que le jazz est une sorte de patchwork bigarré, qui n’arrive pas a revêtir les habits « corporate » et disciplinés des yuppies américains, une sorte d’arche de Noé qui accueille tous les épris de liberté, les esseulés, les fous dansants, les bienheureux, les grands talents. Tous, absolument tous.

C’est chouette, le jazz, vous ne trouvez pas ? C’est plein de vérités et ca remplit le coeur de joie. Mais surtout, c’est intelligent. Car il s’agit d’une création artistique sur l’instant. Une véritable sublimation de l’artiste dans l’instant !

Que dire des musiciens américains ? Ils sont bien souvent très « mainstream » et « carrés » dans leur style. Je pense souvent à nos musiciens européens qui prennent de plus grands risques. Nous pouvons les en féliciter. La musique européenne aujourd’hui se veut plus difficile mais laisse aussi une plus grande part aux influences culturelles environnantes. Les américains sont moins ouverts à ce monde extérieur de manière générale et leur musique reste très « américaine », mais aussi très professionnelle techniquement.

J’ai été aussi très étonnée de voir qu’à New York, les grands comme Kenny Garrett, Bobby Hutcherson, Jackie McLean, Paul Bley/Motian/Peacock ne remplissent pas forcément les salles, ou en tous cas, que l’on peut les voir dans des clubs à taille humaine tandis qu’à Paris, le Palais des Congrès était à son comble pour accueillir Keith Jarrett ou le New Morning ne savait plus ou mettre des chaises lorsque Kenny Garrett y est venu il y a 2 ans pour présenter son disque « SongBook ». Cela en dit long. A New York, j’ai eu du mal à rencontrer des vrais fans de jazz. « C’est un peu la vieille musique américaine » m’ont dit certains. Cela n’empêche néanmoins pas le Birdland de faire salle pleine pour Dave Holland et la présentation de son magnifique big band qui comprend Chris Potter, Antonio Hart, Robin Eubanks, Steve Nelson et d’autres. Mais toujours dans une atmosphère très « chic », « non smoking » et pour une heure de concert pas plus. Seul le Smalls et les petits clubs permettent de rester jusqu’à trois heures du matin comme au Sunset ou au Duc des Lombards, dans une atmosphère enfumée, à la bonne vieille mode !
Difficile aussi de savoir ce qu’il se passe en Europe en réalité ! Les vendeurs de disques mettent en écoute très peu de disques par rapport à ce que fait la FNAC (réjouissez-vous !) et présentent en général seulement les « news releases » américains ou les best sellers. « Something Else » et « Kind of Blue » continuent par exemple d’être dans le rayon « Best Sellers » de Tower Records et se mélangent sur le comptoir avec un autre best seller qui s’appelle « Soul », un groupe qui mélange jazz-funk-soul…(je ne m’étonne plus de rien !)

Et pourtant New York reste la ville la plus jazzy et swinguante du monde. Amateurs de jazz du monde entier, venez ! New York est un creuset phénoménal de cultures et de musiques internationales. A Harlem, certains clubs continuent de s’enivrer au rythme des jams ! Dans l’East-Village, les bars, lounges et clubs fleurissent. Le jazz est joue souvent lors des brunchs du dimanche, dans les petits restaurants ou bars. Et New York garde sa place de ville reine du jazz, bien loin devant Chicago, Los Angeles, ou New Orleans.
« If you can make it here, you can make it anywhere… » chantait Frank Sinatra. La big apple est une ville difficile, contrastée, chère, mais aussi un terreau formidable pour jouer, écrire, créer, et se recréer.

Oui, le temps des Cerises est bien fini : le New York jazz des années 2000 est bien différent, de celui des années 50 et 60, ne vous y méprenez pas. Plus branché, plus électrique, évoluant à grande vitesse et proposant à la carte un menu alléchant chaque semaine, chaque mois, chaque année, au rythme des saisons.

Alors, ne perdons pas de temps, pendant que vous passez « April In Paris » et que j’ai passé « Autumn in New York », faisons équipe et inaugurons ensemble la rubrique U.S. de CitizenJazz !