Natalia Kordiak, sans pression

Natalia Kordiak - Kxntrst music festival © Ola Mleczko

«  J’ai toujours aimé chanter, se souvient Natalia Kordiak de ses débuts musicaux. Où que j’aille, il faut que je chantonne ou chante quelque chose. »

Adolescente, Natalia Kordiak participe au Voicingers Festival– une manifestation qui associe concerts, concours et ateliers pour chanteurs. Voicingers est une plateforme pour l’échange d’idées, l’inspiration musicale, les rencontres et l’établissement de relations à long terme. Pour Kordiak, l’événement signale le début de nombreuses aventures. Elle commence par des ateliers et, en 2018, remporte le Grand Prix du Concours international pour jeunes chanteurs, ce qui lui permet d’enregistrer son premier album. Bajka (qui signifie « conte de fées »), paraît sur le label slovaque Hevhetia, et reçoit une nomination à un Fryderyk, un prix prestigieux décerné par l’industrie musicale polonaise. Au fil du temps, Kordiak collabore avec Voicingers en tant que co-organisatrice, coordinatrice et productrice de plusieurs éditions ultérieures.

À la croisée de la musique, de l’improvisation et de l’éducation

Voicingers est également un espace d’échange artistique, d’exploration pédagogique et de collaboration avec des créateurs fascinants du monde entier. Kordiak a l’opportunité de travailler avec Sofia Ribeiro, Andreas Schaerer, Michael Schieffel, Leïla Martial, Grzegorz Karnas (fondateur et directeur de Voicingers) et Anna Gadt (qui devient plus tard maître de conférences à l’Académie de musique et maintenant collabore avec Kordiak dans le cadre d’un projet). « Leurs perceptions de la musique et du monde m’ont donné une immense inspiration pour ma créativité, la composition d’œuvres originales et la pratique vocale quotidienne. Cela m’a également amenée à enseigner », dit la chanteuse.

Natalia Kordiak - China Tour 2024 © Grzegorz Karnas

En 2017, en collaboration avec la Philharmonie nationale de Varsovie, Natalia Kordiak initie une série de concerts de jazz éducatifs. Elle a organisé des ateliers récurrents, donné des cours et travaillé avec des chanteurs lors de festivals tels que Voicingers ou le Wesoła Jazz Festival. Ces dernières années, elle passe beaucoup de temps en dehors de Pologne.

La Swarnabhoomi Academy of Music à Chennai en Inde lui propose notamment une résidence. Pendant sept mois, elle crée une classe vocale et sillonne le pays pour organiser des ateliers destinés aux enfants et aux jeunes. Sa résidence terminée, elle commence à travailler en Chine et au Vietnam, organisant d’autres ateliers pour des chanteurs de jazz. Ces séances se concentrent sur l’improvisation, la créativité, l’authenticité spontanée et l’autonomie artistique. « Enseigner, c’est aussi se préoccuper de son propre développement, fait-elle remarquer pour justifier sa décision d’entreprendre des études en doctorat à l’Académie de musique de Łódź. L’enseignement du chant, de la musique et de l’improvisation est extrêmement complexe. L’enseignant s’engage dans un milieu sensible, influencé non seulement par ses compétences, mais aussi, et peut-être surtout, par sa sensibilité émotionnelle. C’est une énorme responsabilité que d’éviter d’étouffer leur autonomie, de veiller à ce que les conseils ne conduisent pas à copier d’autres artistes ou ce qui est déjà connu, apprécié ou facile. L’enseignement doit guider les individus vers la découverte de leur véritable soi. » Elle poursuit : «  La voix est un instrument lié à notre corps. Elle travaille en symbiose avec nous, c’est pourquoi la compréhension et la sécurité sont cruciales pour la liberté d’expression. Bien sûr, tout cela est bien beau en théorie. En pratique, c’est beaucoup plus difficile et cela demande de la patience. J’ai rencontré de nombreuses personnes qui m’ont aidé, et d’autres qui n’ont pas été aussi généreuses. Les rencontres significatives m’ont toujours permis d’évoluer, de progresser et de réfléchir, parfois même en remettant en question mon point de vue sur certains aspects de la vie. »

Son groupe le plus important est un quintet avec lequel elle a sorti deux albums. Le plus récent, intitulé Ytinamuh (il faut le lire à l’envers), est un enregistrement tiré du concert donné à la fin de ses études à l’Académie de musique Karol Szymanowski à Katowice. Dans cette représentation, la musique s’entrelace avec des mots pleins de sens. Outre les paroles originales de Kordiak, le spectacle comprenait des extraits d’œuvres d’auteures célèbres telles qu’Ayn Rand, Olga Tokarczuk, Jolanta Brach-Czaina ou Sylvia Plath. Le concert comprend également des improvisations vocales ornées d’effets électroniques. Elle est rejointe sur scène par Przemysław Chmiel (saxophones ténor et soprano), Mateusz Kołakowski (piano), Alan Wykpisz (contrebasse et guitare basse) et Grzegorz Pałka (batterie). Un autre projet, TANOK, un duo avec la pianiste ukrainienne Kateryna Ziabliuk, met clairement en avant l’importance qu’elle accorde aux textes. Ensemble, elles jouent un programme qui inclut la suite « Pieśń Lasu » ( « Chant de la forêt »), inspirée par les œuvres de la poétesse, auteure, traductrice et critique littéraire ukrainienne Lesya Ukrainka.

Un des derniers projets de Natalia Kordiak est le quartet Voice Act. Fondé par Anna Gadt, cet ensemble vocal comprend Marta Grzywacz et Gosia Zagajewska ainsi que Kordiak. Le quatuor crée des récits vocaux ancrés dans la diversité des tempéraments, des vécus, des expériences et des styles de ses membres : folk, classique, jazz, musique contemporaine et free. Voice Act a déjà sorti un album de musique vocale d’avant-garde, parsemé de références et d’inspirations qui ont accompagné les chanteurs pendant son enregistrement. Les spectacles du groupe tournent autour de la voix, celle-ci ne tenant pas forcément le rôle principal. Elles donnent à la fois des concerts purement vocaux et des collaborations avec d’autres artistes. L’une de ces collaborations a eu lieu avec le célèbre batteur Jim Black lors de la première édition du Kxntrst Music Festival.

Anna Gadt : « Je connais Natalia depuis de nombreuses années, ce qui me permet d’observer son parcours au fil du temps. D’abord captivée par le jazz traditionnel, elle a ensuite été attirée par les formes ouvertes, l’improvisation et l’électronique. Ses deux albums constituent un point de départ intéressant pour une exploration plus poussée de son langage singulier. Je pense qu’elle prend de plus en plus d’assurance sur scène en tant que leader et créatrice avec sa propre vision artistique. Nous nous sommes rencontrées pour la première fois durant les ateliers de Voicingers. Natalia s’est distinguée par sa personnalité singulière et son intérêt sincère et dynamique pour la musique. Plus tard, elle a été mon élève pendant plusieurs années au département de jazz à Katowice. Elle est très ambitieuse et déterminée. Dans ses activités artistiques, elle semble s’efforcer de combiner sincérité, intuition et conscience, et sa volonté de progresser ainsi que son intérêt pour l’exploration des sons sont vraiment impressionnants.

C’est pour ces raisons que je l’ai invitée à collaborer avec Voice Act, un projet mettant en scène quatre vocalistes/improvisatrices sans le soutien d’instrumentistes ou de dispositifs électroniques. Voice Act met l’accent sur la force de la voix, le vécu de chacune, la diversité des perspectives et des racines, ainsi que sur le besoin de rapports humains, la curiosité et l’écoute. Au-delà de ses capacités techniques et d’une voix au timbre magnifique et au registre étendu, Natalia a apporté à Voice Act sa créativité, sa sensibilité unique et son ouverture d’esprit. Son imagination participe librement au dialogue entre les voix, ajoutant un élément essentiel et inspirant. Je crois que ses plus belles découvertes sont encore devant elle et je lui souhaite de tout cœur de réussir.  »

Le plus bel aspect des voyages est d’observer les gens

Le Kxntrst Music Festival, mentionné plus haut, permet à Natalia Kordiak d’occuper d’autres fonctions – en tant qu’organisatrice de spectacles. Elle programme ce festival avec deux autres figures montantes de la scène polonaise : Kuba Więcek et Piotr « Pianohooligan » Orzechowski. Au programme du festival sont inscrits des concerts, ateliers et tables rondes. « En tant qu’artistes actifs et responsables, nous devons non seulement nous concentrer sur notre travail créatif, mais aussi changer la façon dont le marché de la musique en Pologne est perçu. Nous devons mettre l’accent sur l’authenticité plutôt que de nous conformer aux normes de l’industrie », dit la chanteuse.

Natalia Kordiak © Paweł Wyszomirski

Que réserve l’avenir pour Natalia Kordiak ? « Je ne sais pas encore. Je n’aime pas me mettre la pression », admet-elle. Son projet en solo prend forme – depuis un an, elle se produit en solo, en incorporant des effets de guitare ou des synthétiseurs analogues. Avec son quintet, elle a joué à plusieurs reprises avec le trompettiste Tomasz Dąbrowski (la trompette a remplacé le saxophone dans ce groupe), présentant une nouvelle perspective sur une musique déjà bien fignolée. Elle prévoit de continuer à collaborer avec d’autres musiciens dans le cadre de concerts de musique improvisée sans lendemain qui lui apportent une immense joie. Elle a également l’intention de faire partie d’autres groupes. Enfin, Kordiak se concentrera sur son doctorat, explorant l’intersection des processus que sont la composition et l’improvisation en termes d’expression artistique vocale.

Enfin, les voyages feront sans aucun doute partie de ses projets. « Le plus bel aspect des voyages est d’observer les gens – leurs traditions, leurs modes de vie, leurs perceptions de la musique, de la religion, leurs habitudes et leurs relations à l’art. Explorer le monde de la manière la plus large possible, y compris en faisant du tourisme, est une de mes passions. Mes amis rient toujours de voir à quel point je suis bien préparée lorsqu’il s’agit de connaître les attractions, l’histoire et la gastronomie locales », dit-elle avec un sourire.