Chronique

Nicholas Thomas 4

Plays the music of Hank Jones

Nicholas Thomas (vibes), Alain Jean-Marie (p), Michel Rosciglione (b), Mourad Benhammou (dm)

Label / Distribution : Fresh Sound Records

Qu’est-ce qui a des lames, des ailettes, des résonateurs, une pédale, et diffuse des ondes langoureuses quand on l’effleure avec des mailloches ? Le vibraphone, bien sûr. Cet instrument hybride inventé dans les années 1920 et qui a conquis la planète principalement grâce au jazz. Le vibraphoniste italien installé à Paris Nicholas Thomas, pour sa part, s’empare ici du trop méconnu répertoire du mythique pianiste Hank Jones, décédé en 2019 - sa mort est hélas passée inaperçue. Le frère de Thad et d’Elvin était pourtant l’un des sidemen les plus recherchés depuis l’ère du hard bop. Peut-être cette quête archéologique dans les compositions pléthoriques de celui qui était devenu une légende de son vivant provient-elle du fait que Thomas reconnaît Barry Harris comme son mentor (après tout, le Maître Suprême du bop, qui dispensait encore Son Savoir il y a peu, à Rome parfois, est contemporain de Hank).

Toujours est-il que le vibraphoniste fait ici montre d’un sacré toupet. Et il a sacrément raison. Il se plaît à transposer sur son instrument des mélodies qui fleurent bon le standard (sans en être, justement) et ont cette saveur spirituelle somme toute très « jonesienne ». Il adore proposer à ses compagnons de session ces formes harmoniques appétentes qui portent la marque du blues et des « rhythm changes » (que les franchouillards appellent « Anatole »).
Il n’a certainement pas eu à insister beaucoup auprès du pianiste Alain Jean-Marie pour l’amener à participer à cette chasse au trésor : celui-ci déploie son swing alizéen avec d’autant plus de conviction qu’il y a comme une identification au jeu de son génial prédécesseur, jusque dans son statut, parfaitement assumé ici, de sideman. L’interplay avec le vibraphone atteint des sommets inégalés grâce au drumming sans faille et poétique de Mourad Benhammou, jamais aussi à l’aise que dans le répertoire bop. Heureusement, il y a le bassiste pour tenir les murs de cette maison des sens. La présence d’une plage chantée, avec une voix féminine sur un registre mezzo-soprano façon Carmen McRae, rappelle le compagnonnage musical de Hank Jones avec Abbey Lincoln, manière de ne pas oublier que le pianiste fut un grand militant artistique de l’émancipation des Afro-Américains. Avec respect, efficience et poésie, Nicholas Thomas revivifie un patrimoine qui porte en lui des germes d’avenir.

par Laurent Dussutour // Publié le 14 novembre 2021
P.-S. :

Avec : Viktorija Gecyte (voc)