Chronique

Nick Fraser

Too Many Continents

Nick Fraser (dm), Kris Davis (p), Tony Malaby (saxes)

Label / Distribution : Clean Feed

Nick Fraser est un batteur canadien, moins connu chez nous que ses compatriotes François Houle ou Harris Eisenstadt, mais qui mérite une écoute attentive. Il y a quelques années, il accueillait Tony Malaby au sein de son quartet pour le disque Towns & Villages (Barnyard Records, 2013). Pour ce nouvel album qui paraît sur l’excellent label portugais Clean Feed, on retrouve le saxophoniste américain au sein d’un trio qui comprend également la pianiste Kris Davis, soit deux figures importantes de la scène jazz contemporaine. Et autant l’écrire tout de suite, Too Many Continents est un chef d’œuvre d’improvisation. Certes, Fraser signe trois compositions mais elles se résument principalement à une trame sur laquelle le trio prend son envol. Pour le reste, c’est une discussion à trois, aux ambiances variées, des plus paisibles aux plus sauvages, où le dialogue est roi. Malaby et Davis se connaissent parfaitement et cela s’entend tout au long du disque, ils semblent doués de télépathie.

Une grande énergie se dégage du disque, portée par la puissance de Malaby au saxophone, renforcée par le piano de Davis qui martèle accords et lignes mélodiques, dans la lignée d’un Cecil Taylor. Elle cisèle l’espace, parfois avec des phrases minimalistes, répétées longuement pour installer une tension que Fraser prend plaisir à venir colorer de ces frappes subtiles. Ailleurs, son jeu est beaucoup plus dense ; alors, Nick Fraser se fait fort d’aérer la musique, pour maintenir une respiration vitale. Tony Malaby fait du Malaby : sa science de la narration, son talent d’improvisateur et de défricheur de mélodie font ici merveille. Son inspiration semble sans faille. Il nous surprend même avec des effets qui ne sont pas sans rappeler Anthony Braxton (par exemple sur « Recovered As Granted (Sketches 28 & 27) »). Sur « I Needed It Yesterday », il est tel un cheval fou. Sur « Also », sa sonorité profonde nous réjouit les oreilles. Sur le premier thème qui donne son nom à l’album, ses échanges avec Kris Davis sont tout simplement merveilleux.

Too Many Continents est une véritable réussite : tout au long du disque, rien ne semble gratuit ou facile. La relation forte qui existe entre les trois musiciens leur permet de se livrer sans retenue, persuadés « d’être ensemble », au détour de leurs improvisations, signe d’une écoute mutuelle exceptionnelle.