Chronique

Nicolas Parent trio

Tori

Nicolas Parent (g), Kentaro Suzuki (b), Guillaume Arbonville (dms) + Karsten Hochapfel (cello)

Tori signifie oiseau en japonais. Mais ce terme renvoie également à Torii, qui signifie littéralement « Là où passent les oiseaux » et désigne les portails traditionnels japonais érigés à l’entrée des sanctuaires shintoïstes, et dont la fonction est de séparer le monde profane du monde spirituel. Le titre du deuxième album de Nicolas Parent est à lui seul une invitation à l’évasion. Après un premier disque, Moments, où il portait à nos oreilles son univers subtil et apaisé, il propose, avec son trio au sein duquel Kentaro Suzuki officie désormais à la contrebasse, de nouveaux voyages, toujours empreints de poésie et de pudeur.

Plus que d’un langage musical codé, l’identité du guitariste vient de sa manière d’appréhender la mélodie, de la placer au cœur du rythme, et donc de tresser ses phrases et motifs aux lignes épurées de la contrebasse et aux percussions organiques de Guillaume Arbonville. De fait, cette recherche du climax collectif sert un discours centré, minimal, où chaque instrument chante pour les autres.

Nicolas Parent n’est pas homme à dresser des barrières autour de son jeu. Lui qui est passé par le métal, se passionne pour les musiques baroques, iraniennes, improvisées et autres, convoque au contraire tous les folklores, époques et énergies pour nourrir son expression, la charger de gestes qui lui appartiennent mais qui résultent d’une sincère curiosité et d’une capacité à canaliser les apports de ces sources, en laissant le temps aux formes de se parfaire et aux ambiances de s’installer. Ainsi, dans la continuité de ses précédentes propositions, Tori est constitué de titres calmes, développés sereinement sans surcharge d’élans individuels. Les overdubs et l’utilisation (parcimonieuse) de la distorsion contribuent ponctuellement à rendre l’atmosphère orageuse, comme dans l’étendu « Copenhagen », mais ce sont la guitare classique à cordes nylon ou les sons clairs qui sont privilégiés, et mariés avec goût aux basses généreuses et aux couleurs chamarrées des percussions, elles aussi en provenance de différents continents (zarb, bongos, congas, tablas, fûts et cymbales, objets…).

Les thèmes restent au cœur des compositions, comme autant d’axes centraux autour desquels s’articulent les introductions, ponts et périodes d’interaction. Ce soin apporté à l’architecture semble presque translucide à la première écoute, mais les lectures répétées contribuent à mettre en lumière la subtile construction narrative des morceaux. Les motifs installés au long du délicat « Tori » explosent à la toute fin du titre, dans un groove organique et léger ; la mélodie de « Rialto » n’apparaît qu’après que le trio a entraîné l’auditeur dans une danse délicatement chaloupée. Partout se perçoit la capacité (car cela se cultive) du guitariste à avancer à pas léger, à ne pas gâcher le climat d’une chanson par des élans précipités. Ainsi des morceaux comme « Deep In Black » ou « Cinquième sens » se révèlent-ils sur la longueur, portant un spleen que l’abnégation des musiciens favorise.

Il y a des voyages intérieurs, presque méditatifs, que prolongent quelques magnifiques miniatures improvisées en solo par le guitariste. Des instants plus explicites portés par une égale discrétion. C’est le cas de la superbe « Valse pour Victoria » ou, en guise d’ouverture, de l’évocation d’un périple qui nous mène au centre de Madagascar (« Train To Isalo ») et durant lequel le violoncelliste Karsten Hochapfel appose son lyrisme sur la toile de fond paisible du trio. Le portail finit par s’estomper. La musique ne choisit pas. Elle est spirituelle autant que profane, et paraît toujours portée par des courants ascendants.