Chronique

Nicolas Stephan

De la violence dans les détails + Unklar

Label / Distribution : Discobole Records

Les plus attentifs des auditeurs du Surnatural Orchestra, où il n’est pourtant jamais question d’individualités ni de leadership, avaient pu, à force d’écoutes et de propositions diverses, s’apercevoir du goût du saxophoniste Nicolas Stephan pour la narration et l’étrangeté des situations. Ce fut le cas notamment dans Profondo Rosso, cet album multi-support bâti autour de la personnalité de Pasolini, jeu de piste politique et poétique où Stephan tenait toute sa place.

De l’écriture en portée à celle sans guide-ligne, il n’y a parfois qu’un pas, une marche difficile à franchir qui nécessite à la fois de dresser une ligne étanche entre texte et musique et de s’aménager quelques passerelles. Un dédale, donc, qui s’adapte très bien au caractère labyrinthique du petit roman De la violence dans les détails, paru à compte d’auteur et disponible sur un site dédié. Un objet écrit, mais aussi musical, avec une clé USB enfichée dans les pages de l’ouvrage. Ni bande-son, ni récit choral, juste un angle différent sur des faits identiques.

De la violence dans les détails est un flashback permanent qui décrit en creux un homme seul ballotté par les choix politiques et le temps, fasciné par l’alchimie des corps et leur liberté crue, parfois même cruelle. On se perd, souvent, entre l’Afrique du Sud et l’Irlande, entre la lutte et la fuite, entre la lenteur de l’attente et les coups de boutoir soudains. C’est sans doute ce qui transparaît le mieux dans la musique. Pour l’accompagner, il a fait appel à des compagnons de longue date (Julien Desprez, Fidel Fourneyron, Théo Girard, Julien Rousseau…) ou se livre, à l’instar du texte, à un solo d’une grande introspection ; il n’y a pourtant rien ou presque d’autobiographique dans ce texte tendu où tout s’estompe, à l’image de « La Disparition du Héros » qui fera nécessairement penser au Bruit du [Sign]. La réécoute de ce groupe avec Jeanne Added permettra de percevoir davantage de choses de ce recueil parfois cryptique.

Comme pour mieux effacer les traces derrière lui, Nicolas Stephan fait paraître quasi simultanément l’album Unklar chez Discobole. Entièrement différent, le disque renoue pourtant avec une noirceur et un goût pour la tension où chaque mouvement peut faire tressaillir. Si loin, si proche. Avec Antonin Rayon, qui sait donner à son orgue Hammond des sonorités singulières et terriblement acides, le ténor du saxophoniste s’allie à merveille. « Loin plus tard  » est un exemple parfait de cette construction complexe sans être alambiquée où les sentiments, bien qu’enfouis sous une électricité étouffante, demeurent saillants. Plus tard, avec « Klar  », la flûte de Fanny Ménégoz, enchâssée dans la batterie irrésolue de Benoît Joblot, dessine des routes complexes qui se recoupent, s’entrecroisent et rompent toute forme de linéarité. Pris séparément, Unklar est un disque sec et nocturne évocateur de l’univers si particulier de Stephan qui se régénère ici. Rien n’est laissé au hasard dans son œuvre. Elle s’intègre dans un continuum qui peut se prendre dans n’importe quel ordre et rester cohérent. Avant de tout remettre en cause à l’avatar suivant. Éloge de l’instabilité.

par Franpi Barriaux // Publié le 22 octobre 2017
P.-S. :

De la Violence dans les Détails : Nicolas Stephan (saxes, voc), Julien Desprez (g), Csaba Palotai (g), Théo Girard (b), Anne Palomeres (danse), Antonin Rayon (cla), Sébastien Brun (dms), Pierre-Alexandre Tremblay (b), Benjamin Body (b), Fidel Fourneyron (tb), Julien Rousseau (tp), Brice Pichard (tp), Johan Renard (vln), Cyprien Busolini (vla), Julien Grattard (cello)

Unklar : Nicolas Stephan (ts), Fanny Ménégoz (fl), Antonin Rayon (cla), Benoit Joblot (dms)