Chronique

Noël Akchoté - Philippe Deschepper

MMXXIV AD

Noël Akchoté (g), Philippe Deschepper (g).

Label / Distribution : Ayler Records/Orkhestra

Osons le dire : ce disque est un petit miracle qu’on doit à la passion de Stéphane Berland (ainsi ce dernier ajoute-t-il une référence majeure à son label Ayler Records) qui a eu l’idée de provoquer une rencontre entre Noël Akchoté et Philippe Deschepper. Car lorsque les chemins de deux musiciens aux parcours si riches et singuliers se croisent enfin, on se dit que nos oreilles et nos cœurs ont beaucoup de chance de les écouter dialoguer autour de leurs musiques, mais aussi de celles qu’ils aiment et dont ils se nourrissent depuis toujours. Celles de quelques grands noms en particulier, qu’on retrouve à l’affiche de l’album : Paul Motian, Steve Swallow, Ornette Coleman ou Henri Texier. Ce dernier occupant une place particulière, dans la mesure où les deux guitaristes ont évolué par le passé à ses côtés, mais à des périodes différentes (ils lui dédient d’ailleurs une composition éponyme signée Deschepper particulièrement émouvante). MMXXIV AD – comprenez 2024, Akchoté Deschepper – est le témoignage d’un moment unique et rare, pris sur le vif de deux journées d’enregistrement à Zürich au mois de mai 2024, sans répétitions mais dans un climat suspendu d’écoute réciproque et un dialogue vibrant de chaque instant.

Toute la force singulière du jazz et son emblématique interplay sont ici convoqués au long de treize conversations qui s’écoulent dans un climat d’intimité sereine. C’est une musique d’eau qui se joue ici, limpide, fluide, sinueuse. Une mer tranquille, ou plutôt une rivière dont le cours s’avère suffisamment imprévisible pour attiser constamment la curiosité. Chaque musicien est venu avec sa propre imagination, sans jamais chercher à dominer un échange dont l’équilibre fascine d’emblée avec le magnétique « Mumbo Jumbo » de Paul Motian. Treize minutes étales qui nous font comprendre que la suite sera tout aussi précieuse. On peut chercher à savoir qui joue quoi, à identifier la sonorité ou le phrasé de chacun des protagonistes, mais quelle importance après tout ? L’essentiel est ailleurs, dans une communion de l’instant, amoureuse et toujours nimbée d’une lumière aux reflets tendres. Et lorsque la musique s’arrête avec « Nebbia » signé Henri Texier, on se demande bien comment un tel dialogue avait pu ne pas avoir lieu plus tôt. MMXXIV AD est assurément un rendez-vous unique que les amoureux du jazz ne doivent pas manquer. Que Noël Akchoté et Philippe Deschepper soient remerciés pour cette offrande.

par Denis Desassis // Publié le 8 septembre 2024
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