Chronique

Noi Trei

3 vues d’un paysage

Louis-Michel Marion (b), Violaine Gestalder (saxophones), Stefania Becheanu (fx)

Label / Distribution : Autoproduction

On s’intéresse trop rarement à l’aspect documentaire de la musique. Pourtant, elle est importante dans la création radiophonique, mais sans doute jamais abordée aussi directement que dans ce 3 vues d’un paysage qui réunit le contrebassiste Louis-Michel Marion, la saxophoniste Violaine Gestalder et Stefania Becheanu, collecteuse de sons et de paysages sonores. C’est cette dernière qui est à la manœuvre, dans la mise en condition des deux improvisateurs : vagues qui roulent et voix d’enfants, chaleur sensible quoique légèrement voilée, c’est l’imagination au pouvoir. La contrebasse égraine quelques notes, comme une structure qui craque ; quant au saxophone, il fait confiance à Éole, à moins qu’il n’en soit l’avatar. Gestalder se partage entre musique contemporaine et improvisée, elle est ici dans son parfait élément.

Comme le film Rashômon de Kurosawa, différents points de vue subjectifs sont exposés dans un contexte statique mais très évocateur. La relation à l’Asie de Louis-Michel Marion n’est pas nouvelle, elle est ici suggérée mais omniprésente. Il n’y a pas d’enjeu, pas d’époux assassinés, juste le temps qui passe et le flot cyclique de la mer, mais chaque morceau installe une dramaturgie différente, jusqu’à l’impression, dans le troisième tableau, d’être au cœur même des vagues. Là, Marion joue de l’archet comme une proue qui tangue, le saxophone attaque chaque remous comme s’il s’agissait de rester à flot. Parfois, le field recording disparaît ou plutôt s’efface, conscient que l’abstraction des instruments l’emporte, comme une peinture recouvre un crayonné.

3 vues d’un paysage est le genre d’œuvre immersive qui s’écoute au casque, pour en déceler chaque détail, chaque petite anfractuosité du son qui permet d’y nicher de nouvelles impressions. Il faut du temps et de la disponibilité pour s’y plonger, et accepter de totalement s’abandonner aux magnifiques installations sonores de Becheanu. Nous nous risquerons même à un conseil d’écoute : seul, le soir, dans un endroit familier et confortable pour vagabonder à l’envi dans ce paysage que nous voyons en trois dimensions et dans lequel nous flottons. Une expérience riche.

par Franpi Barriaux // Publié le 10 juin 2019
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