Tribune

Now You See Him…

Ainsi vient de s’éteindre, à l’âge de 57 ans, le plus remarquable, le plus inventif, et certainement le plus copié des saxophonistes post-coltraniens, Michael Brecker.


Les mots nous manquent pour exprimer l’immense tristesse et l’intense désarroi dans lesquels nous plonge cette disparition, sentiments auxquels s’associent sans aucun doute l’ensemble des musiciens qui considèrent Michael Brecker comme le plus novateur et le plus créatif des saxophonistes post-coltraniens.

La mauvaise nouvelle est tombée hier : le saxophoniste américain Michael Brecker est décédé ce samedi 13 janvier 2007, à 57 ans, des suites des complications d’un syndrome connu sous le nom de MDS (Syndrome myélo-dysplasique), maladie contre laquelle la famille du musicien luttait désespérément depuis plusieurs mois en tentant de trouver un donneur compatible de moelle osseuse. La légère amélioration de son état consécutive à une greffe expérimentale de cellules souches qui lui avait permis de remonter sur scène aux côtés du pianiste Herbie Hancock en juin dernier n’aura donc été que de trop courte durée.

Pour saisir l’importance de la place qu’occupait Michael Brecker dans le monde du jazz moderne, il convient de revenir sur la carrière de ce musicien dont vous pouvez être sûrs qu’au moment même où vous lisez ces lignes, des centaines de jeunes saxophonistes à travers la planète s’évertuent à absorber, comme il le font pour de plus illustres prédécesseurs, le son, le style et le phrasé.

Né le 29 mars 1949 à Philadelphie, d’un père mélomane et pianiste amateur qui lui fera découvrir, à lui ainsi qu’à son jeune frère Randy, les icônes du jazz de l’époque (Dave Brubeck, Clifford, Miles Davis, Thelonious Monk, Duke Ellington, etc.), Michael Brecker abandonne rapidement la clarinette pour le saxophone ténor, impressionné par les albums de John Coltrane.

Après une année d’étude à l’Université de l’Indiana, Michael Brecker part pour New York en 1970, où il s’impose rapidement comme un excellent soliste : il y co-fondera également, avec son frère devenu trompettiste, et le batteur Billy Cobham, le groupe de jazz-rock Dreams.

La formation ne dure qu’une année, mais la proposition musicale demeure : dans la lignée du son de Weather Report ou des groupes de Miles Davis à l’époque, les deux frères mettront rapidement en place les Brecker Brothers, groupe qui occupera une place de choix dans les formations de jazz-fusion de la fin des années 1970. Ici, en 1980 :

Dans le même temps, Michael Brecker s’impose comme le sideman le plus sollicité de la musique pop : de Steely Dan à Dire Straits, de Frank Sinatra à Frank Zappa, sa discographie de l’époque compte plusieurs centaines de collaborations, sans oublier sa participation durant plusieurs années au groupe qui anime l’émission mythique de la télévision américaine, le Saturday Night Live. Nous l’entrapercevons ici dans une séance de studio dirigée par Quincy Jones pour Franck Sinatra en 1987 :

Mais c’est certainement la création avec le vibraphoniste Mike Mainieri du groupe Steps en 1981 (qui deviendra Steps Ahead en 1983) qui marque le tournant de la carrière du saxophoniste : avec des comparses aux talents aussi complémentaires que Don Grolnick (p.), Steve Gadd (dr.) et Eddie Gomez (cb.), en cinq ans et sept albums, ils apporteront au jazz moderne une contribution décisive. Les voici ici en 1983, avec Eliane Elias au piano :

Très curieusement, à une époque où la machine discographique n’aime rien tant que proposer chaque année le nouveau jeune talent qui va révolutionner le saxophone jazz, Brecker attendra 1987 (et ses 37 ans !) pour publier un premier album sous son nom, Michael Brecker, chez Impulse. Accompagné d’une section rythmique irréprochable - Jack de Johnette (dr.) et Charlie Haden (cb.) - et de deux solistes exceptionnels - Pat Metheny (gt.) et Kenny Kirkland (p.) - pour enrichir les thèmes de Don Grolnick, il offre là un premier album-manifeste, à la fois extrêmement dynamique et sensible, qui sera récompensé du titre de meilleur album jazz de l’année par la presse américaine. Suivront six albums jusqu’en 2001, tous plébiscités par le public comme par la presse, et qui vaudront à Michael Brecker 11 Grammy Awards, dont deux rien que pour le dernier, Wide Angles, en 2004.

Toujours en recherche, toujours au travail (la légende raconte qu’à leurs débuts, Brecker et son ami et collègue David Sandborn consacraient une dizaine d’heures par jour à leur instrument), Brecker aura réussi, en près de quarante ans d’une carrière exemplaire, à faire progresser non seulement cette musique, par son approche mélodique extrêmement riche et complexe, mais également la technique « saxophonistique » grâce à son travail de collaboration sur le saxophone électronique EWI d’Akaï. Le voici en action sur cet instrument hors norme :

Nul doute que Michael Brecker nous quitte trop tôt, avant même d’avoir pu livrer ses dernières trouvailles géniales, ses dernières expérimentations. Et que nous le regrettons tous déjà…

par Evrim Evci // Publié le 29 janvier 2007
P.-S. :

D’autres vidéos de Michael Brecker sur You Tube.