Chronique

O.N.E

Well actually…

Kateryna Ziabliuk (p), Monika Muc (as, bs), Kamila Drabek (b), Patrycja Wybrańczyk (d)

Label / Distribution : April Records

Porté par un sens de la narration assez clair et fluide, le quartet O.N.E fait vibrer le cœur européen du jazz. Né en Pologne avec la pianiste ukrainienne Kateryna Ziabliuk qui signe une partie des morceaux, Well Actually…, le troisième album de cet orchestre strictement féminin, est présenté sur le beau label danois April Records. De quoi célébrer l’éternel printemps et les routes communes du jazz en Europe pour un résultat résolument contemporain. On le constatera avec « Berio » où le piano se fait cryptique dans les brisées de la batterie de Patrycja Wybrańczyk [1], très précise dans un jeu versatile. En parenté, on pourrait penser au travail d’un Alban Darche, notamment dans le jeu de la saxophoniste Monika Muc et le lyrisme de la pianiste, mais il y a avant tout dans O.N.E un volonté collective et très libertaire qui dépasse le cadre d’une seule signature. Le très beau « Kaldur Vindur », du nom d’un vent froid islandais, en est l’exemple même, avec un jeu très ouvert réglé par la contrebasse de Kamila Drabek, remarquable tout au long de l’album.

On l’a dit, ce jeune quartet n’a pas de direction. Ça ne l’empêche pas d’avoir des capitaines de route et des balises ; dans un jeu fait de discrétion, la contrebasse est celle qui tout au long de l’album tient le flambeau. « Oslo », tout en douceur et en brumes matinales, au timbre irisé, permet de goûter à la grande musicalité de Drabek et à son entente avec la coloriste Wybrańczyk. Dans ce contexte, Monika Muc s’efface pour laisser un piano jouant à la surface des choses, comme voilé lui aussi par une ouate qui s’effiloche. Difficile dans ce contexte de ne pas céder à la contemplation. Mais il ne faut pas croire que O.N.E fasse l’éloge de la douceur : « Fount », mais aussi « Solo Form » sont des éclairs free dans un ciel bleu d’hiver, comme pour montrer que les glaces ne sont pas éternelles.

En polonais, One veut dire elles, c’est Matthieu Jouan qui nous le rappelle dans de copieuses notes de pochette, et l’ambivalence voulue par les musiciennes dans ce sous-texte très malin se laisse entendre comme une paraphrase des mousquetaires : Une pour elles, elles pour toutes, symbole d’une synergie forte qu’illustre « Well Actually… » et le puissant jeu d’esquive de la batterie dans un tutti plein de légèreté. Dans ce morceau, la base rythmique de O.N.E se mesure à un jeu de piano devenu percussif, que Muc tente de sculpter avec force. Ce nouveau disque d’April Records est la bonne surprise de l’automne.

par Franpi Barriaux // Publié le 26 octobre 2025
P.-S. :

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