Chronique

ONJ Daniel Yvinec

The Party

Eve Risser (cla, elec, fl), Vincent Lafont (cla, elec), Antonin-Tri Hoang (as, cl, bcl, synth, elec), Rémi Dumoulin (ts, cl, bcl), Matthieu Metzger (bs, ss, cms, elec, fx), Joce Mienniel (fl, synth), Sylvain Bardiau (tp, flh, tb, sousa), Pierre Perchaud (g, banjo, cavaquinho), Sylvain Daniel (b), Yoann Serra (dms)

Label / Distribution : Jazz Village

Quand on organise une crémaillère, fête-t-on sa pendaison ou son décrochage ? Il y a plusieurs écoles. Dans la majorité des cas, on s’en moque ; on danse. C’est donc à une dépendaison de crémaillère que nous convie le locataire Daniel Yvinec après un bail de cinq merveilleuses années à la tête de l’Orchestre National de Jazz. Dès la reprise du « Requiem pour un con » et son breakbeat électronique entêtant, une chose est certaine : avec The Party, il convient de pousser les meubles et de rouler les tapis. Les voisins ne sont pas près de dormir...

Durant ces cinq années, cette équipe de dix musiciens autour du sélectionneur Yvinec n’a cessé d’être là où on ne l’attendait pas. Et le directeur artistique de l’ONJ n’a cessé de pousser chaque individualité aux limites de son monde pour stimuler un propos collectif. Des reprises luxueuses des chansons de Wyatt jusqu’au travail complexe autour de Piazzolla, ce jeune orchestre a prouvé qu’il n’y avait guère de barrières qu’il ne puisse allègrement franchir. Couronnement d’une équipe soudée autant que d’une génération dorée, cet ONJ ajoute donc à ses trois disques connus et célébrés un quatrième qui sortira après le coup de sifflet final, comme une gigantesque exultation.

Un morceau comme « Gold Fever », où la basse lourde et funky de Sylvain Daniel fait briller la flûte de Joce Mienniel dans une atmosphère chargée d’afro-beat peut paraître surprenant chez un orchestre estampillé « jazz », tout comme la reprise acidulée d’« Everybody’s Got To Learn Sometime », scie Eighties signée des obscurs Korgis. D’autant qu’on note une certaine continuité avec le raffinement du piano d’Eve Risser sur « Once In A Lifetime » (Talking Heads). Mais s’étonner de cette grande diversité, ce serait faire fi d’un public de dévoreurs de musique, amateur d’électro, de rock ou de metal, et venu au jazz à rebours. Ils apprécieront ce jubilatoire retour aux sources. Ne le dites pas trop fort, mais cela reflète aussi l’univers de jeunes gens pour qui les querelles de clochers et autres excommunications picrocholines valent bien peu face au plaisir de jouer ; ce n’est pas la guitare de Pierre Perchaud lançant un « The Party » à faire se dandiner Mancini qui démentira cette impression.

Dévoreur de musique lui-même, Yvinec, amoureux du disque en tant qu’objet, aura eu à cœur durant cet ONJ de lui faire la part belle. En s’offrant le concours du producteur new-yorkais Michael Leonhart, très prisé, pour arranger ce feu d’artifice final atypique, il parachève en beauté cinq années qui auront changé l’image et la vocation institutionnelle de l’Orchestre National de Jazz. Être capable de tout jouer, c’est ce qu’on demandait aux musiciens de jazz français à la fin des années 70, quand se formèrent les grands orchestres qui préfigurèrent l’utopie ONJ. En emmenant ses ouailles sur un registre plus pop, dans ces fameux studios du label Vogue qui accueillirent aussi bien Jacques Dutronc que Marvin Gaye, Yvinec boucle donc la boucle sur un délicieux pied de nez. La diversité a toujours été la grande force et le charme de l’ONJ ; il s’agit désormais d’accueillir avec enthousiasme et impatience le nouveau locataire, Olivier Benoit. Les voisins grognons continueront à rouscailler quoi qu’il en soit. Alors, plus que jamais… Shut Up And Dance !

par Franpi Barriaux // Publié le 16 janvier 2013
P.-S. :

- Des extraits du concert à la Ferme du Buisson (Noisiel) le 21 décembre 2013 à voir ici et .
- L’émisison Open Jazz sur France Musique.
- En écoute sur la chaîne YouTube du label