Chronique

Oded Tzur

Translator’s Note

Oded Tzur (ts), Ziv Ravitz (dms), Shai Maestro (p), Petros Klampanis (b)

Label / Distribution : Enja Records

« La vie parle un langage que je ne comprends pas », confie l’homme à la baleine qui vient de l’avaler, et qui ne le laissera pas repartir avant de lui avoir appris une chanson qui le libérera de son désarroi. Cette histoire, Oded Tzur la tient d’un inconnu rencontré dans la salle des cartes d’une bibliothèque, devant les images de créatures sous-marines. L’homme chante, on lui demande de faire silence. Sa chanson, c’est celle du cachalot. « Même si elle a été écrite par une baleine, elle peut tout autant être la vôtre », dit-il, avant de l’apprendre à son tour au saxophoniste, qui lui aussi nous l’offre dans cet album. Au vrai, la poésie qui caractérise l’album The Translator’s Note est présente à plus d’un titre, et se retrouve sublimée par une formation de choix, inspirée, puissante et virtuose.

C’est en 2012, à New York, où il s’est installé il y a plusieurs années, que le saxophoniste israélien organise une session avec Ziv Ravitz à la batterie, Shai Maestro au piano et Petros Klampanis à la contrebasse. L’osmose entre les quatre musiciens est telle que dès la fin de la session, le Oded Tzur Quartet est né. Après un premier Like a Great River, enregistré en 2015 et salué par la critique, le groupe est de retour avec ce deuxième album, dans lequel il confirme et développe davantage encore sa créativité.

Précurseur d’un jeu de saxophone qualifié de microtonal [1], Oded Tzur propose une œuvre singulière et captivante, qui se démarque de l’effervescente scène jazz actuelle. Il ouvre une voie qui se révèle dans sa discographie, dans laquelle ce Translator’s Note fait figure de joyau. Cinq titres qui déploient un univers onirique, profond, et nous entraînent sur un océan d’imaginaire où les quatre musiciens semblent prendre leur temps pour mieux suspendre le nôtre. Au cœur d’une musique subtile, intimiste, qui joue avec sa part de silence, se cachent de véritables trésors : le bouleversant « Single Mother » est une montée en puissance de 13 minutes qu’on ne cesse de redécouvrir à chaque écoute. « Welcome » et « The Three Statements of Garab Dorje » témoignent de la communion du quartet, dans une interprétation impressionnante de maîtrise. « The Whale Song » (la fameuse) nous plonge au cœur des vagues que les cymbales de Ziv Ravitz mettent en mouvement, jusqu’à ce dernier titre, « Lonnie’s Lament », laissant planer l’ombre d’un maître, un certain John Coltrane, venu parachever ce qui ressemble décidément à un chef-d’œuvre.

On ressort pétri de gratitude et d’émotions avec ce disque qui nous réconcilie avec la vie, un peu comme l’homme qui ressort de la baleine et emporte avec lui un air inédit : « La vie chante juste une chanson que je n’ai jamais entendue auparavant ».

par Raphaël Benoit // Publié le 3 décembre 2017

[1Fasciné par la musique classique indienne, Oded Tzur travaille depuis de nombreuses années à la création d’un jeu de saxophone appelé microtonal, qui consiste à jouer des micro-intervalles propres à la musique indienne, que la gamme occidentale ignore.