Scènes

Pang ! Plongée dans l’insondable

En avril, le quatuor franco-américain a écumé les quartiers de Chicago.


Pang ! @ The Bridge

Pang ! est constitué de la pianiste Sophie Agnel, du contrebassiste Pascal Niggenkemper, du cornettiste Ben Lamar Gay et du sorcier de l’électronique Sam Pluta. Formé dans le cadre du réseau transatlantique The Bridge, le groupe a séjourné à Chicago du 15 au 26 avril.

Pang ! fait ses débuts en France lors d’une première tournée en juin-juillet 2021. Le passage aux États-Unis est l’occasion de resserrer les liens et de fêter la sortie d’un disque enregistré au fil des rencontres initiales (Pang !, The Bridge Sessions). Le nom est bien choisi tant la formation percute : Sophie Agnel par son style, Ben Lamar Gay armé de son arsenal de tambourins, de minuscules cymbales ou autres percussions, et Pascal Niggenkemper avec son bric-à-brac de maillets, clochettes ou abat-jour.

Mais avant de pouvoir goûter à la magie du groupe, un délicieux amuse-gueule est servi le premier soir à Constellation : une bataille de titans mettant en scène deux pianistes, Agnel et Jim Baker. Ce dernier est un musicien hors pair mais trop méconnu, qu’il est rare d’entendre sur un piano digne de ce nom. Entre les deux protagonistes, il est davantage question de complémentarité que d’osmose. La Française est même un élément perturbateur qui, à une ou deux reprises, fait sursauter Baker – celui-ci arrive néanmoins à retomber immédiatement sur ses pieds une fois passée la surprise initiale. Le jeu de Baker reste majoritairement ancré dans le jazz et le blues même s’il finit par rejoindre la pratique bruitiste d’Agnel en plaçant le bouchon de son inséparable thermos sur les cordes de son piano. Ensemble, les deux pianistes nous entraînent dans un délectable tourbillon d’émotions.

Pascal Niggenkemper @ Virginia Saavedra

La musique de Pang ! est un univers étrange, mystérieux, inquiétant parfois, toujours fascinant. Bien souvent, les membres du groupe alimentent une tension qui génère un suspense. La formation offre également une symphonie de sons. Outre les objets qu’elle place à l’intérieur de son instrument, Sophie Agnel frotte, pince ou gratte les cordes de son piano. Il est difficile de parler de piano préparé : tout se passe dans l’instant, l’immédiat. À ce titre, Pascal Niggenkemper opère similairement lorsqu’il accroche des clochettes ou insère ses abat-jour en métal entre ses cordes. Ce faisant, lui aussi s’écarte du rôle habituel dévolu à son instrument. De son côté, Ben Lamar Gay est le véritable soliste du groupe, le seul à vraiment jouer des mélodies et à sculpter des phrases musicales mues par une grande agilité, car la pianiste et le contrebassiste se contentent de concocter des ostinati. Il reste Sam Pluta qui produit de l’électronique en temps réel, traitant les sons produits par ses acolytes. À l’aide du logiciel TouchOSC et de deux iPads qu’il utilise comme une table de mixage, il exécute un programme qu’il a conçu et qu’il surnomme sa « thèse doctorale ». Avec lui, les sons fusent, crépitent, grondent ou clapotent. D’une certaine manière, il dialogue avec l’ensemble du groupe en leur renvoyant une image déformée d’eux-mêmes quand il ne les enveloppe pas de vagues sonores.

Ben Lamar Gay @ Alain Drouot

Les autres concerts confirment que le groupe a trouvé son identité. Seules les circonstances changent. Ainsi, le lendemain, le quartet a rendez-vous à Pro-Musica, magasin de hi-fi de haut standing et partenaire de The Bridge depuis 2015 . Ken Christianson, co-propriétaire des lieux et ingénieur du son, ouvre régulièrement les portes de son antre pour des concerts qui donnent aux spectateurs l’impression d’assister à une représentation dans leur propre salon – cet événement est toujours un moment privilégié de la tournée américaine. Musicalement, les climats sont plus sombres que la veille mais la marque de fabrique est reconnaissable : les éclairs d’Agnel, le phrasé preste de Gay, l’imagination de Pluta et la subtilité de Niggenkemper.

Sam Pluta @ Virginia Saavedra

Lors d’une sortie au Woodland Pattern à Milwaukee, une variante est proposée : Ben Lamar Gay est remplacé par Lou Mallozzi aux platines et Sophie Agnel se retrouve derrière un Wurlitzer. À part quelques accords tonitruants, la pianiste multiplie les ostinati en boucle et se fond davantage dans la tapisserie tissée par ses collègues. Le scratching de Mallozzi colle avec les sons de Pluta, et ses traitements de 33 tours ajoutent une note d’humour. Mais la prédominance de l’électronique entretient une atmosphère de science-fiction.

Sophie Agnel @ Alex Inglizian

Le 21 avril, on retrouve Sophie Agnel à l’Experimental Sound Studio pour un autre duo. Cette fois-ci, elle est opposée au batteur et percussionniste Michael Zerang avec lequel elle a joué il y a une vingtaine d’années aux Instants Chavirés de Montreuil – le saxophoniste anglais John Butcher était également de l’aventure. À l’image de la musique classique, le concert est donné en plusieurs mouvements. Une science du détail prédomine. Même lorsque les deux musiciens progressent lentement, beaucoup de choses se produisent – on est loin du minimalisme. Ironiquement, Zerang assume le rôle de mélodiste plutôt qu’Agnel dont la stridence accentue son rôle déstabilisateur. Si le duo évolue dans un cadre éthéré, bien lancé, il est capable de générer un joyeux barouf. Cette réussite est une nouvelle démonstration de l’intérêt de ces rencontres hors groupe qui constituent un important attribut de The Bridge.