Chronique

Peut-on parler de musique noire ?

Volume !

Fondée en 2002 par Samuel Étienne, Gérôme Guibert et Marie-Pierre Bonniol, Volume ! est une revue universitaire semestrielle consacrée aux musiques populaires. Musiques actuelles, hip-hop, métal, rap, musiques électroniques… tout ce qui n’est pas « savant » a droit de cité. Après des dossiers consacrés à l’art de la reprise, au rock et au cinéma, à la sociologie, le dernier numéro de Volume ! (8-1, 2011) s’intéresse à la musique noire.

De la samba brésilienne (Christian Marcadet, « La samba : un genre populaire chanté emblématique, ni afro-descendant ni occidentalisé, mais spécifiquement brésilien ») au tango argentin (Christophe Apprill, « Les métamorphoses d’un havane noir et juteux… Comment la danse tango se fait “argentine” »), en passant par une relecture de pochette (Sarah Etlinger, « Beyond the Music : Rethinking Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band », en anglais), le voyage est traversé par une même question : « Peut-on parler de musique noire ? ». On s’en doute, il n’y a pas qu’une seule réponse. Coordonné par Emmanuel Parent, maître de conférences à l’université de Rennes 2, le dossier s’inspire fortement des théories post-coloniales selon lesquelles les identités de race, de sexe et de classe sont profondément imbriquées et multiples car conditionnées par des rapports de domination extrêmement complexes. L’influence n’est pas nouvelle, puisque l’un des précédents numéros se penchait sur « Géographie, musique et postcolonialisme » (les textes sont en ligne) ; 6 : 1-2, 2008), où l’on trouve déjà un article d’Yves Raibaud (Université de Bordeaux — ADES-CNRS) intitulé « Peut-on parler de musique noire ? ». Les outils de pensée des théories post-coloniales, fondamentaux aux Etats-Unis, étant malheureusement négligés en France, il est réjouissant de lire ici une revue qui leur ménage une juste place.

En outre, Volume ! a le mérite de replacer sur la scène universitaire des objets de pensée encore considérés comme marginaux (il n’est que d’observer la place du jazz dans les départements Musicologie des universités), mais qui occupent une place vacante dans le paysage des revues musicales, universitaires ou non. Ici nulle critique, mais des points de vue critiques sur les musiques populaires, et, évidemment, le jazz.

Lorraine Roubertie Soliman (Paris VIII) se demande si le jazz a une couleur en Afrique du Sud, Yves Raibaud analyse la « faitichisation » française de Louis Armstrong et, à travers lui, d’un « type noir », avec la chanson « Armstrong » de Claude Nougaro, adaptation du célèbre negro-spiritual « Let My People Go » (« Armstrong, je ne suis pas noir… »), tandis qu’Alexandre Pierrepont, dont on peut lire les notes de pochette ou entendre la voix chez RogueArt, écrit sur « Le spectre culturel et politique des couleurs musicales : la “Great Black Music” selon les membres de l’AACM » (Association for the Advancement of Creative Musicians, basée aux Etats-Unis, qui comprend notamment Nicole Mitchell, Anthony Braxton, Matana Roberts…). Il y reprend une des thèses développées dans Le Champ jazzistique (Parenthèses), à savoir l’idée selon laquelle le jazz ne peut être réductible à un genre ou à un langage musical, mais constitue un « champ » aux multiples déterminations. De même, la « musique noire » se revendiquerait moins d’une identité aux contours nets que d’une manière particulière de pratiquer le monde, elle-même issue d’une personnalité intrinsèquement plurielle.

Cette façon de refuser toute univocité dans la pensée est représentative des choix éditoriaux de la revue Volume ! : il s’agit ici d’offrir au lecteur des entrées thématiques, transversales et passionnantes dans toutes les musiques populaires.