Chronique

Pierrick Pédron

Fifty-Fifty [1] New York Sessions

Pierrick Pédron (as), Sullivan Fortner (p), Larry Grenadier (b), Marcus Gilmore (dms).

Label / Distribution : Gazebo

Ce disque a des allures de mise au point. Mais ne nous y trompons pas : il s’agit d’un point d’exclamation, lancé à la volée dans un grand élan d’euphorie, celui que peuvent susciter, en prise directe avec la vibration new-yorkaise, des retrouvailles avec ce jazz fondateur de toutes les énergies déployées depuis tant d’années par Pierrick Pédron. Il en aura en effet coulé de l’eau sous les ponts depuis 20 ans, lorsque le saxophoniste avait publié Cherokee, son premier album en tant que leader. Deux décennies en musique, à scruter des horizons multiples, jusqu’au funk, à la new wave et au rock progressif, toutes ces années à souffler inlassablement sur les braises du bop aux côtés de ses amis ou de quelques partenaires appartenant désormais au mythe de cette histoire en renouvellement perpétuel (Mulgrew Miller, Phil Woods, Roy Hargrove…). Le Breton n’a jamais triché, quitte à douter parfois, au prix d’une remise en question de chaque instant. Pierrick Pédron n’est pas un musicien satisfait de lui-même et ne le sera sans doute jamais.

La cinquantaine venue, notre homme a choisi, en toute complicité avec son ami Daniel Yvinec qui endosse ici le rôle de producteur, la voie d’un retour aux sources en célébrant le jazz dans sa dimension la plus essentielle. Comme une explication, finalement, de ce que pourrait signifier très exactement cette musique. C’est une prise sur le vif, quasiment en direct et durant un laps de temps très court (deux jours en studio au début du mois de janvier 2020 sous la responsabilité de James Farber), soit un exercice d’équilibre sur le fil tendu par quatre musiciens engagés dans une conversation des plus enthousiasmantes. Et si le saxophoniste a choisi, pour tenir fermement la maison, de s’adjoindre les services d’un musicien très aguerri de sa génération en la personne du contrebassiste Larry Grenadier, il n’a pas hésité à braconner du côté de deux « gamins » (la trentaine l’un et l’autre) qui ne s’en laissent pas compter : Sullivan Fortner au piano et Marcus Gilmore à la batterie. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’amalgame a parfaitement pris. Fifty-Fifty [1] New York Sessions est un livre d’histoire(s). Avec un son direct et sans fioritures, des envolées en forme de courses-poursuites (le disque démarre en trombe avec un fulgurant « Bullet T », tandis qu’un peu plus tard le très Monkien « Boom » vient nous dire « Y a de la joie ! »). Ce sont aussi de magnifiques balades exemptes de toute mièvrerie (le très classique et si émouvant « Sakura » ou encore un hymne poignant à la Rue de Trévise récemment meurtrie), c’est une implication individuelle aussi bien que collective (savourez par exemple le groove de « Unknown 2 »), comme si le temps était compté et qu’il fallait tout dire au plus près des émotions. La rythmique est un alliage parfait de souplesse et puissance, les interventions de Sullivan Fortner sont de constants défis harmoniques auxquels Pierrick Pédron répond dans une forme d’exultation et avec une autorité naturelle. Le saxophoniste rayonne, on sait bien que ses pensées vont naturellement vers Charlie Parker, Cannonball Adderley ou Ornette Coleman, mais c’est bien son propre chant qui s’élève, lyrique et libéré du moindre doute. Peut-être n’a-t-il jamais aussi bien exprimé son désir d’être présent, au bon moment.

Dans quelques mois verra le jour la deuxième partie de Fifty-Fifty. Enregistrée cette fois à Paris avec une jeune garde hexagonale, elle nous rappellera à quel point Pierrick Pédron sait qu’en matière de jazz, il faut savoir à la fois cultiver l’héritage en apprenant chaque jour des anciens et faire fructifier celui-ci en regardant devant soi et dans des directions multiples. Il nous raconte une bien belle histoire, celle d’un cœur qui bat très fort et d’un amour sans bornes pour une musique qui ne dit rien d’autre que la vie.