Chronique

Plaistow

Live At Bimhuis

Johann Bourquenez (p), Vincent Ruiz (b), Cyril Bondi (dms).

Label / Distribution : DYFL (Plaistow Music)

Plaistow vient d’annoncer la fin de son aventure. Il y avait pourtant chez ces Helvètes quelque chose qui ressemblait fort à de l’entêtement. Au point qu’il faut saluer, une dernière fois, la détermination qui avait conduit ce trio de l’épure à inoculer à tous ceux qui s’approchaient de sa musique son doux venin minimaliste et incantatoire.

Si le groupe existait depuis une dizaine d’années (sa première trace discographique portait un titre peu commun : Los Criminales Reciclados En Conductores De Autobuses), c’est à partir de l’année 2010 et de l’album The Crow qu’il avait choisi d’emprunter un chemin qui l’emmenait vers des contrées arides et mystérieuses, souvent plongées dans le clair-obscur de l’intranquillité. Trois albums avaient confirmé un ressenti de nature oxymorique, à mi-chemin entre obsession et contemplation : Lacrimosa (2012), Citadelle (2012) (ce dernier faisant entendre néanmoins des échos plus formellement jazz que les trois autres) et Titan (2015). À chaque fois, Plaistow captivait et happait ceux qui le voulaient bien vers son inconnu, où s’épanouissait une rythmique hypnotique conduite par la contrebasse de Vincent Ruiz (ce dernier ayant succédé depuis Citadelle à Raphaël Ortis) et la batterie de Cyril Bondi. De quoi stimuler les obsessions tout aussi rythmiques du piano de Johann Bourquenez, dont le son parfois étouffé alternait martèlement et longues échappées célestes. Surtout, le pianiste savait installer le silence comme élément constitutif de son jeu.

Titan avait des allures d’aboutissement tant sa démarche paraissait radicale, sous le prétexte d’une exploration en quatorze étapes des lunes de Saturne (dont Titan est la plus grosse). C’est lui qui offre la matière première (en quatre alunissages seulement : « Hyperion », « Phoebe », « Iapetus » et « Hélène ») de Live At Bimhuis, enregistré en mars 2016 dans un club de jazz d’Amsterdam après une longue tournée. C’est donc pour le public l’occasion d’éprouver de façon plus charnelle la force atypique de cette musique. Et pour mieux incarner un « splendide isolement », l’album voit le jour sous la seule forme très élégante d’un vinyle bleu dont le tirage est limité à 300 copies. Les retardataires bénéficieront néanmoins d’une séance de rattrapage avec la possibilité de s’en procurer la version numérique sur le site internet du groupe.

Le résultat est sans appel : Live At Bimhuis est le carnet de bord de quatre longues plongées – peut-être vaudrait-il mieux parler d’immersions ? – et de l’avancée, implacable et sûre de son fait, d’un Plaistow qui, plus que jamais, définissait les contours d’une musique singulière et farouche, dont on s’approche sans que pour autant tous ses mystères soient dévoilés. Qu’on ne se laisse pas impressionner cependant par son apparence distante : Live At Bimhuis, tout comme son prédécesseur, est avant tout une invitation à se laisser transporter ailleurs, sans réticence. Inutile de résister en effet, tant le voyage est impressionnant. Embarquement immédiat, en attendant d’autres aventures qui ne manqueront pas d’advenir.