Chronique

Post Image

Mandragore / In An English Garden

Danny Marcombe (b), Éric Perez (dms), Patricio Lameira (g, voc), Frédéric Feugas (kb), Frédéric Buzon (tp), Jean-Christophe Jacques (sax), John Greaves (voc).

Label / Distribution : Mosaic Music

Voilà ce qui s’appelle ne pas faire les choses à moitié ! Il serait plus juste de dire que pour fêter ses 25 ans, le groupe Post Image voit double en publiant simultanément deux albums qui, pour différents qu’ils soient, n’en sont pas moins le témoignage d’une identité à laquelle ceux qui suivent l’actualité du groupe depuis 1987 sont très attachés.

Formé par le bassiste Danny Marcombe et le batteur Didier Lamarque, tous deux alors en provenance du groupe Uppsala [1], Post Image avait jusqu’à présent publié six albums [i] et connu différentes évolutions de personnel en maintenant tendu le fil d’une musique qu’on affiliera volontiers au jazz rock, certes, mais celui qu’enfanta Miles Davis à la fin des années 60, car elle se nourrit à la fois de la liberté du premier et de l’énergie du second. Une inspiration qui sait s’ouvrir aussi à une world music jamais insipide. On évoque ici ou là l’idée d’ethno-électro-jazz, à utiliser avec prudence tant elle pourrait évoquer un fourre-tout sans grande personnalité, bien loin de la chaleur du groupe. En effet, il faut plutôt penser ici à une quête lyrique où l’immobilité n’est pas de mise ; un capital artistique et esthétique que le groupe a su faire fructifier durant toutes ces années par de nombreux concerts à travers la France et quelques rencontres fructueuses, comme celle du saxophoniste Alain Debiossat, membre de Sixun. Pour mémoire, on se rappellera aussi la contribution de Post Image aux deux hommages rendus il y a quelques années à la musique de Christian Vander, Hamtaï ! et Hür !, à l’initiative du passionné Alain Juliac, récemment disparu.

Groupe discret et néanmoins actif depuis sa création, Post Image mérite bien d’être mis en lumière aujourd’hui et cette double publication constitue un excellent moyen de souligner ses qualités. De la formation originelle ne subsistent que Danny Marcombe, Freddy Buzon et Patricio Lameira, auxquels se sont joints Jean-Christophe Jacques en 1998 et, plus récemment, Éric Perez, Frédéric Feugas et Patrice Cazals (ingénieur du son) depuis 2006. Mais l’esprit est là, non seulement par l’implication intacte de son trio fondateur, mais aussi parce que Post Image se veut un groupe participatif où chacun compose et s’implique avec une égale intensité. Comme un principe actif de son existence.

Deux disques, donc, publiés chez Mosaic Music, au format court (à peine plus de trente minutes) où il faut peut-être voir une façon de densifier le propos. Le premier, Mandragore, présente le groupe sous son jour classique. On sent encore à quel point la bande à Danny continue de goûter, grâce notamment à Freddy Buzon, le breuvage du Miles électrique et de ses descendants tels que Weather Report [2] (« Carpe Diem »), mais aussi les aspirations mélodiques qui font tout le charme complexe des Anglais de Hatfield & The North ou National Health. Le chant de Patricio Lameira n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui d’un Richard Sinclair (« Nocdiurne »), et sa guitare se glisse aussi volontiers dans les pas de Pat Metheny, références que Post Image ne reniera certainement pas. Les claviers de Frédéric Feugas contribuent quant à eux à l’installation d’un climat plus électro-jazz. Mention spéciale à la basse de Marcombe qui sait aussi gronder façon Jannick Top (comme sur le très davisien « The One »). Il se dégage de cette musique un sentiment d’apaisement souriant, aérien, parfaitement servi par des arrangements très ciselés et fluides, dans une cohésion que le groupe a su se forger au fil de l’expérience ! Telle est l’esthétique de Post Image, alliant lyrisme, pulsation et élégance mélodique.

Danny Marcombe apprécie le chanteur, compositeur et bassiste gallois John Greaves depuis l’époque lointaine où il était membre de Henry Cow. Cette formation qui confinait parfois au happening comptait aussi dans ses rangs quelques agitateurs de premier plan comme le guitariste Fred Frith ou le batteur Chris Cutler. Henry Cow, c’était une certaine idée de la subversion, mise en évidence par des enregistrements (devenus des classiques) auréolés d’une imprévisible folie dadaïste : Unrest, In Praise of Learning ou Legend, par exemple, et les mémorables chaussettes ornant leur pochette. John Greaves a également joué avec Peter Blegvad (Slapp Happy), National Health, Robert Wyatt, Michael Mantler, Soft Heap, Sophia Domancich… ; à son actif, une quinzaine d’albums dont un des plus récents, Greaves Verlaine, est chanté en français [3]. L’univers de Greaves, onirique et nimbé de mélancolie, nous conte une longue page de l’histoire de la musique anglaise des dernières décennies.

Voici donc aujourd’hui In An English Garden, fruit de la rencontre entre nos Bordelais et le plus français des Gallois ! L’histoire remonte à janvier 2010, lorsque les musiciens de Post Image rencontrent Greaves à l’occasion d’une résidence en Aquitaine. Un travail en commun qui aboutit à un premier concert, puis un second, quelques mois plus tard. L’idée d’un disque n’allait pas tarder à germer dans les esprits : voici le résultat. Six compositions, six ballades au charme singulier. Charlie Chaplin et Nick Drake sont convoqués, Greaves reprend deux compositions nées de sa collaboration avec Peter Blegvad, et met aussi des mots sur une musique composée par Feugas. Sa voix chaude et rauque n’est pas celle d’un crooner sexagénaire, loin s’en faut : elle véhicule plutôt une intrigante part d’intranquillité, un début de vertige doux-amer d’où émane le sentiment d’une dérive flottante. Mais l’empreinte très marquée de son univers sur ce jardin anglais n’efface pas pour autant la présence du groupe, qui y insuffle son lyrisme coutumier. Car cette union est tout sauf une superposition ; c’est un vrai travail collectif, résultat d’une volonté commune : dépasser les genres et imaginer un ailleurs poétique et sensible, en toute harmonie, atteindre un équilibre parfois instable : « La collaboration avec John Greaves s’est faite très naturellement, très simplement. Nous parlons le même langage musical ». Un monde à part se dessine, quelque part entre jazz et chanson. En toute élégance, dans un hommage amoureux à la musique anglaise.

Mandragore, In An English Garden : les deux font la paire, et de belle façon. Vingt-ans après son acte de naissance, il est grand temps de remettre les pendules de Post Image à l’heure. C’est chose faite avec ces deux albums.

par Denis Desassis // Publié le 19 juin 2012

[1Dont l’unique album, enregistré en 1983, s’apparentait à la Zeuhl par la façon dont son leader, le guitariste Philippe Cauvin, habitait sa musique - le sillage de Magma donc -, mais révélait surtout des influences plus variées via une synthèse entre rock, jazz et musique contemporaine. Une sorte de jazz rock d’avant-garde, loin des clichés d’un courant fusion trop souvent soporifique et sans saveur.

[iLes nouvelles (1997), Onde colorée (1991), Caldeira (1995), Roots (2000), Seven Trips (2002), Impulsion (2007).

[2Post Image a assuré la première partie de Miles Davis et de Tony Williams en 1987, puis de Herbie Hancock et de Joe Zawinul en 1992.

[3Il vit en France depuis près de 25 ans.