Chronique

Quatuor IXI & Melanoia

RED

Music By Luzia Von Wyl

Label / Distribution : BMC Records

Toujours prompt à repérer et promouvoir les mouvements significatifs de la musique créative européenne, Budapest Music Center est de ces labels qui ne loupe jamais un virage et offre aux artistes la liberté de créer dans un contexte adéquat d’une immuable qualité. Il eut alors été impensable de passer à côté de ce phénomène qu’est la compositrice, pianiste et chef d’orchestre Luzia von Wyl. A-t-on vu ascension plus fulgurante que celle de la Suissesse ? Elle a 30 ans à peine, et l’année dernière, lors de la sortie de Frost chez HatHut, nous louions déjà sa capacité à dompter un univers singulier et débordant d’idées. Une œuvre pétillante, cinématographique, complexe et en même temps immédiatement mélodique avec une attention particulière portée aux couleurs, tel cet « Oliam » qui ouvre Red. Le violoncelle d’Atsushi Sakaï et les percussions de Dejan Terzic s’y emparent d’un thème que file chacun des huit musiciens avec une légèreté mutine.

L’orchestre regroupe en réalité deux entités : le quartet Melanoia de Terzic et le Quatuor Ixi. Il paraît flotter en lévitation, nonobstant les poussées soudaines du pianiste Achim Kaufmann et de l’altiste Guillaume Roy. Ces derniers ne remettent jamais en cause la sérénité affichée par le saxophoniste Hayden Chisholm, un habitué des projets de Nils Wogram, autre orfèvre. Quant à von Wyl, elle ne joue pas : elle a travaillé sur des partitions à l’occasion de cette rencontre et s’amuse de toutes les possibilités. « Spechtony », peut-être le morceau le plus représentatif de son écriture, est une mécanique de précision très spatialisée, comme en témoignent les échanges entre les violons de Régis Huby et Théo Ceccaldi tout comme la guitare souterraine et méticuleuse de Ronny Graupe. La science de l’harmonie ne retient aucunement les élans d’improvisation des huit musiciens. Le groupe de Terzic, avec lequel il avait enregistré Melanoia en 2014 pour Enja, est familier de ces climats. Lui-même formidable mélodiste, le batteur serbe propose d’ailleurs deux compositions sur Red, dont le très beau « Traum Im Traum » présent sur son précédent album. C’est l’opportunité, avec les arrangements de Luzia von Wyl, de revisiter l’atmosphère qu’on croirait inspirée des films de Tim Burton. Notamment grâce à la profondeur qu’apporte les cordes, en premier lieu l’alto de Roy, très en pointe sur cet album où l’on ne trouve trace de contrebasse.

C’est peu de dire qu’il y a entre Terzic, déjà vu aux côtés de Hans Lüdemann et Sébastien Boisseau, et von Wyl une certaine communauté d’idées. Elle se traduit par une référence assez sensible au Third Stream, même en faisant abstraction du quatuor IXI et de son goût pour le syncrétisme. Le courant se faufile à l’instar d’une résurgence dans le magnifique « Dawn ». Il surgit, dépouillé de ses vieux oripeaux et habillé d’une grande modernité, soutenu par un dialogue ténébreux entre Roy et Chisholm dans le ventre du piano. Peu à peu la lumière se lève, dans un équilibre de timbres d’une rare finesse. La guitare électrique de Graupe, mêlée au quatuor à cordes comme un trait d’union, a un rôle d’éclaireur. De mouvement en mouvement la lumière change, se réchauffe, jusqu’à rougeoyer gaiement. Red est un disque abouti et mature qui couronne la vision de Luzia von Wyl de la meilleure des façons. Nous savions avec Frost que le talent était prometteur. Que dire, dès lors, des promesses tenues ? Qu’on est impatient d’entendre la suite, avec elle au piano !

par Franpi Barriaux // Publié le 26 mars 2017
P.-S. :

Melanoia : Hayden Chisholm (ts, ss), Ronny Graupe (g), Achim Kaufmann (p), Dejan Terzic (dms, perc)
Quatuor Ixi : Régis Huby (vln), Théo Ceccaldi (vln), Guillaume Roy (vla), Atsushi Sakaï (cello)