Chronique

Quatuor IXI

Temps suspendus

Régis Huby (vln), Théo Ceccaldi (vln), Guillaume Roy (vla), Atsushi Sakai (cello)

Label / Distribution : Abalone / L’Autre Distribution

Vingt ans que le violoniste Régis Huby et l’altiste Guillaume Roy animent Ixi, quatuor en subtil équilibre entre écriture et improvisation qui a toujours privilégié l’immédiateté du concert et a peu évolué avant de se fixer, en 2013, dans sa forme actuelle avec Atsushi Sakai et Théo Ceccaldi (décidément omniprésent ces derniers mois dans tous les orchestres qui comptent, l’ONJ d’Olivier Benoit en tête). Sur le précédent album, Cixircle, le violoncelliste apportait sa connaissance profonde de la musique ancienne en surplus de sa virtuosité. L’apport de l’aîné des Ceccaldi est autre, tout en tension et en urgence ; cela s’entend sur le frémissant « Transmission libre » où l’on reconnaît la raucité de Guillaume Roy mais aussi quelques bouillonnements perçus dans le trio du jeune violoniste.

La transmission, justement, est au cœur de Temps suspendus, troisième disque du quatuor. Entre générations, bien sûr, mais aussi par un processus de contamination entre les genres musicaux - finalement poreux - que privilégie IXI. Sur « Souris, oiseaux et punaises », premier morceau signé Sakai pour le quatuor, on passe avec une énergie folle de Ligeti à un groove minimaliste où bondissent les pizzicati. Plus que jamais, la musique d’IXI incarne le mouvement. Circulaire - évidemment - sur Cixircle, il est plus horizontal ici - il favorise les envolées individuelles qui viennent éroder la masse orchestrale. Citons « Exil », où le violoncelle donne tant de gravité au dialogue des violons. Il y a néanmoins des instants de profondeur répétitive qui submergent l’auditeur de tutti roboratifs (« Best of Tomorrow », certainement le morceau le plus âpre). Les musiciens convergent de toutes parts pour animer un centre aussi ardent qu’instable, où les archets s’effleurent sans jamais s’escrimer et laissent la place à un silence à peine troublé par des cordes charnellement caressées.

Temps suspendus rompt avec ses prédécesseurs en ceci qu’ils étaient majoritairement composés par Régis Huby (par ailleurs producteur, et directeur du label Abalone) ; c’est pourtant à ce dernier que le disque doit sa longue suite centrale, « Les tableaux », inspirée de quatre œuvres picturales. On peine à trouver un rapport, graphiquement parlant, entre Le Cri de Munch et le N° 5 de Pollock. Les dits tableaux, d’écoles et d’influences diverses, présentent pourtant une certaine continuité. Chacun des titres s’inspire de ce principe : en musique comme en toute chose, IXI fuit les étiquettes comme la peste. Il y a des correspondances entre les couleurs comme il y en a entre les timbres : l’orange chaleureux de Rothko se trouve des similitudes avec le ciel ardent de Munch comme les lumières jaillissantes de « N° 5 » avec les étoiles filantes de Van Gogh, dont la « Nuit étoilée » semble par instants… transfigurée. Les Temps suspendus d’IXI font fi des siècles et des époques pourvu que l’émotion soit là ; elle l’est, absolument. C’est l’auditeur qui est alors suspendu aux archets de ces aventuriers.