Sur la platine

Quentin Rollet et Reqords, bons bisous de Russie


Personnage atypique de la scène française, Quentin Rollet aime les atmosphères électroniques, aux confins des musiques improvisées européennes et de la Noise Music. Saxophoniste remarquable et sensible, on l’a entendu aux côtés de Noël Akchoté, de Jean-Marc Foussat avec son père Christian Rollet et dans des dizaines de projets inclassables aux commandes du label Bisou Records ou plus récemment de Reqords, un label qui reprend vie après une disparition de presque dix ans.

Puisqu’il va être question de Russie (il faut bien justifier le titre et la référence à James Bond), passons d’abord par la Grande-Bretagne. Mais on ne fera pas l’économie d’un petit détour par la Hongrie : pour les fans de musiques improvisées radicales, Reqords est surtout connu pour Györ, le duo de Joëlle Léandre et Akosh S. Quentin Rollet réactive une collection qui s’était tarie en 2012 avec DanQ, un duo réalisé avec l’électronicien Dan-Charles Dahan, avec quatre disques sortis en moins de deux ans. Si le saxophoniste nous a assuré Mettre une ambiance de malades avec le batteur Kim Giani, c’est avec le Britannique Andrew Sharpley que les oreilles sont magnétisées.

Sharpley est un designer sonore de premier ordre. Compositeur pour le cinéma, figure de la scène underground londonienne depuis la décennie 2010, il propose avec Rollet une musique qui va chercher du côté d’Autechre ou d’Aphex Twin pour son minimalisme acide et son ronflement discret des basses (« Y »). The New Me est une promenade cinématographique où le saxophone déambule avec son habituel timbre légèrement traînant et plein de scories. Dans « Placeholder », le morceau le plus ambiant de l’album, on a le sentiment que le duo, qui a pris le nom de Q&A, pourrait dialoguer avec les climats nocturnes de Jozef Dumoulin ou Lynn Cassiers, mais avec davantage de noirceur, et une tension plus forte dans les profondes cassures proposées par Sharpley.

De ce point de vue, arriver à Moscou est bien plus pétillant. Shampanskoye est un déluge de sons et de trouvailles avec Alexeï Borisov, figure de la musique expérimentale et underground, né à Moscou dans les années 80, avec la vague punk. Dans « Escopados », Quentin Rollet tient une ligne sinueuse où les sifflements d’anches se mélangent à merveille avec les sons synthétiques proposés par Borisov, qui utilise aussi la guitare et la voix. On pense dans un premier temps que la rencontre peut partir en tous sens, mais tout s’ordonnance par la présence d’autres musiciens pour dompter le duo, qui s’amuse à jouer avec les fréquences de téléphones portables dans les amplis. C’est le rôle assigné à Olga Nosova, batteuse instinctive qui est de la plupart des projets de Borisov, comme dans d’autres projets de la riche scène punk moscovite. Elle donne de la voix également, et pas seulement dans le court « Telephone Call ». Sur « Lyosha », c’est même elle qui mène les débats, avec une virulence tirée des profondeurs, en compagnie du musicien électronique Jérôme Lorichon. Shampanskoye (ШАМПА́НСКОЕ, champagne en russe, vous l’aurez deviné) se termine sur un bien étrange et angoissant « Chainsaw Zombies » qui révèle enfin se sentiment de bande-son irréelle, ce cinéma pour les oreilles auquel Quentin Rollet et le label Reqords semblent désormais très attachés.