Portrait

Rachael Cohen, une force vive positive

Portrait de la saxophoniste britannique Rachael Cohen. En partenariat avec le magazine London Jazz News.


Photo : Monika S. Jakubowska

Sur scène, l’allant et le jeu de Rachael Cohen créent toujours une atmosphère et un climat positifs et dynamiques, même dans les moments les plus surprenants.

Rachael Cohen © Monika S. Jakubowska

« On ne peut pas faire mieux », a écrit le critique de Newcastle Lance Liddle lorsque la saxophoniste alto Rachael Cohen, née dans les Shetland mais vivant à Londres, s’est produite sur la scène principale de Ronnie Scott’s le 4 janvier 2021. Ce n’était que le début de l’année, mais il pensait déjà que cette prestation serait candidate au titre de concert de l’année : « Bien que nous ne soyons qu’à un jour de la Nuit des Rois, j’ai déjà quatre noms au crayon (4HB) le moment venu. »

Ce n’était pas un concert normal devant un public. Il s’est déroulé pendant le confinement, le club étant complètement vide à l’exception du groupe lui-même et de quelques techniciens ; Lance Liddle l’avait regardé sur son ordinateur. Mais la force intérieure de Cohen à travers son jeu et l’incroyable rapport qu’elle établit à travers ses anecdotes et ses annonces sont tels qu’elle a transcendé l’absence presque totale de public.

Les gens ont tendance à penser que la communication est une qualité innée, mais, comme elle le souligne, c’est un aspect de son métier qu’elle a travaillé avec ardeur. « La première fois que j’ai joué à Ronnie Scott’s, j’ai préparé un script avec tout ce que j’allais dire et je me suis entraînée devant un miroir. » Les gens la complimentent parfois en lui disant « Tu as tellement de talent ». Elle rit, et me lance la boutade ironique avec laquelle elle est fortement tentée de répondre : « Oh. Si j’avais su que c’était tout ce qu’il fallait, je n’aurais pas travaillé avec autant d’acharnement ! »

Je suis allée très loin avec le piano


Cette réputation d’être prodigieusement talentueuse lui colle à la peau depuis l’époque où elle était étudiante. Elle a passé son adolescence à Édimbourg et a étudié à l’Edinburgh School of Music. Elle a obtenu son premier engagement de saxophone alto dans un big band à l’âge de quatorze ans seulement ; elle tient ce même rôle dans le National Youth Jazz Orchestra of Scotland et le Tommy Smith Youth Jazz Orchestra.

Lorsque l’heure arrive de choisir une école de musique, Cohen se voit offrir des bourses pour étudier dans tous les conservatoires de Londres, mais elle choisit celui de Birmingham. Immédiatement, elle crée le buzz… du fait de sa maîtrise du clavier et de sa capacité à déchiffrer une partition à vue. « Je suis allée très loin avec le piano », se souvient-elle. Elle se retrouve soudain sollicitée par les étudiants en musique classique comme accompagnatrice. Et pourtant, avec la générosité qui la caractérise, elle attribue sa maîtrise du piano au fait d’avoir travaillé dur avec une enseignante particulièrement inspirante pendant ses années de lycée à Édimbourg : Lynda Cochrane, une musicienne active dans de nombreux milieux.

La pianiste Lynda Cochrane a été clairement un modèle et a motivé Cohen à évoluer dans des contextes différents : « Je vais donner un concert dans le cadre de Jazz Refreshed. Ensuite, je me produis à l’Oxford Tavern. Ensuite, je jouerai des grooves funk et soul pour des breakdancers. Je vais également me produire à Ronnie Scott’s et au Vortex. Et je figurerai dans la section de cuivres de groupes de hip-hop et de chanteurs. Je fais toutes ces choses parce que j’ai envie de les faire. »

Les personnes qui suivaient le cours de jazz au conservatoire de Birmingham se souviennent que son jeu a coupé le souffle de plus d’un (Donny McCaslin en particulier), ainsi que ses compositions : Dave Holland fait plancher ses élèves à la New School de New York sur plusieurs d’entre elles.

Cette ouverture et cette volonté de travailler avec un large éventail d’artistes correspondent à son caractère. J’ai entendu un remarquable concert de standards au festival de jazz de Herne Bay, qu’elle a dirigé avec un réel panache et beaucoup d’élégance. Si ses activités et collaborations musicales sont extrêmement éclectiques, son approche de la composition est logiquement différente : « Pour mes propres morceaux, je ne veux que certains musiciens. Si vous voulez construire quelque chose au mieux, il faut vraiment connaître les gens. Ce n’est pas un son que l’on peut créer du jour au lendemain. »

Avec son rire irrésistible, elle décrit un aspect de son processus créatif qu’elle apprécie particulièrement : « Nous retravaillons le morceau. Nous déplaçons certaines choses. On en laisse d’autres de côté… Je trouve que ma musique fonctionne vraiment quand elle ne m’appartient plus. Quand je peux l’entendre et me dire « Qui a écrit ça - Oh… c’est MOI !!! » »

Rachael Cohen © Monika S. Jakubowska

Cette énergie positive, ce dynamisme, ont également permis à Rachael Cohen de monter en puissance en tant qu’éducatrice. Elle travaille actuellement avec des orchestres à la Royal Academy of Music. En septembre 2021, elle rejoindra l’équipe enseignante de la Guildhall School. Et comment cela s’est-il produit ? Un élève de l’école était si enthousiaste à l’idée de poursuivre des cours en privé, qu’il n’a pas fallu longtemps pour que cet enthousiasme se propage également à la faculté de jazz – et ils ont demandé à Rachael de les rejoindre à temps plein, afin que les autres élèves puissent également en bénéficier.

J’ai une forte personnalité et je sais que cela m’a bien aidée à naviguer dans un monde qui ne fait pas toujours de cadeaux aux femmes


Des imprésarios influents l’apprécient également et aiment l’engager. Tony Dudley-Evans à Birmingham affirme : « Je dois avouer que je me méfie souvent des joueurs de jazz mainstream, mais Rachael Cohen sait faire preuve de tant d’invention et de créativité dans ce style ; j’adore son jeu. » Quant à Sarah Weller du Ronnie Scott’s : « En tant que personne, elle est agréable à côtoyer. Et son enthousiasme pour le jazz et pour la promotion de la nouvelle génération fait d’elle l’animatrice idéale pour notre Late Late Show. »

Rachael Cohen enchaîne les concerts sans relâche. Elle fait également de nombreux séjours à New York. Mais en tant que leader, elle n’a enregistré qu’un seul album : Half Time (Whirlwind Recordings), qui date de 2013 et met en avant le guitariste Phil Robson. L’accueil des critiques a été unanimement positif, mais il contenait un élément qui la surprend encore : il mettait l’accent sur les affinités de son jeu avec celui de Lee Konitz. Près de dix ans plus tard, elle reste perplexe quant à ce rapprochement. « On ne découvre pas comment faire une chose en n’écoutant qu’une seule chose. À l’époque, j’écoutais beaucoup plus les ténors. » Et les saxophonistes alto ? « Parker. Encore et encore !!! »

Elle porte un intérêt particulier à Joe Lovano : « Je l’ai écouté, BEAUCOUP écouté ! » Lorsqu’elle évoque son jeu, elle donne quelques indices sur ce à quoi elle aspire. Et que retire-t-elle en l’écoutant ? « Son son. L’individualité de ce son. L’individualité du concept. La première fois que vous entendez Lovano, il peut être difficile de déchiffrer ce qu’il fait réellement, mais alors VOUS essayez. C’est un saxophoniste tellement talentueux… si expressif et si dynamique. La douceur de son son est étonnante. Sa sonorité ressemble tellement au bois. Il joue toujours avec un immense registre. C’est aussi un homme très sympathique. Un être attachant. C’est mon type ! »

Pour cet article à l’occasion de la Journée internationale des femmes, j’ai posé à Rachael Cohen des questions sur son rôle en tant qu’exemple pour de plus jeunes musicien.ne.s. Elle rejette les stéréotypes. Selon elle : « J’ai une forte personnalité et je sais que cela m’a bien aidée à naviguer dans un monde qui ne fait pas toujours de cadeaux aux femmes – j’en ai vu des vertes et des pas mûres – mais l’idée d’être un exemple à suivre est imposée aux femmes d’une manière qui ne l’est pas pour les hommes. Juste parce que nous sommes des femmes, nous devons être des exemples à suivre ? ! C’est beaucoup de responsabilités à endosser. J’espère simplement qu’à travers mon jeu, je peux inciter les jeunes, et surtout les femmes, à faire confiance au processus. Il n’y a pas de raccourcis : c’est le dévouement de toute une vie à son instrument et à la musique. Alors prenez-y du plaisir ! »

Et en parlant de plaisir, il est grand temps que davantage de personnes apprécient la quantité de plaisir que Rachael Cohen transmet grâce à son jeu et procure aux autres musiciens, aux étudiants et au public. Elle est une force vive positive et une musicienne vraiment remarquable.

par Sebastian Scotney (London Jazz News) // Publié le 6 mars 2022
P.-S. :

Cet article est publié simultanément dans les magazines européens suivants, à l’occasion de « High Society ! » une opération de mise en avant des jeunes musiciennes de jazz et blues : Citizen Jazz (Fr), JazzMania (Be), Jazz’halo (Be), London Jazz News (UK), Jazznytt (No), Jazzwise (UK), Jazz-Fun (DE), Jazzthetik (DE), Jazz Dergisi (TU), Jazz Special (DK).

This article is published simultaneously in the following European magazines, as part of « High Society ! » an operation to highlight young jazz and blues female musicians : Citizen Jazz (Fr), JazzMania (Be), Jazz’halo (Be), London Jazz News (UK), Jazznytt (No), Jazzwise (UK), Jazz-Fun (DE), Jazzthetik (DE), Jazz Dergisi (TU), Jazz Special (DK).

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