Chronique

Radiation 10

Radiation 10

Joachim Florent (b), Emmanuel Scarpa (dm), Benjamin Flament (vib), Fidel Fourneyron (tb, tuba), Julien Desprez (g), Hugues Mayot (saxophones, clarinettes), Aymeric Avice (tp), Clément Janinet (vln), Clément Petit (cello)

Label / Distribution : Coax Records

La très riche polysémie du mot « radiation » vaut peut-être d’emblée pour la musique elle-même, voire pour la façon dont elle est agencée, par zébrures et rayures, mais aussi par la façon dont elle irradie, quand ce n’est pas la manière dont elle biffe d’un trait ce qui a pu la précéder dans l’histoire, sans en effacer cependant la trace. Raturer n’est pas gommer.

C’est dire déjà que ce disque impose d’emblée et pour longtemps sa rayonnante présence. Ça commence de très belle manière, par un ostinato de cordes répétitif (« Steve Reich In Babylone »), vite relayé par les cuivres, puis subverti par l’arrivée de la batterie et les polyrythmies qui s’y glissent. On sait dès lors que ça ne vous lâchera plus. Parce que la rigueur est ici de mise, mais que les paris sont ouverts aussi sur la liberté, parce que l’aventure est collective mais qu’elle ne néglige ni ne brime les individus, parce qu’enfin l’emportement est au rendez-vous en de très nombreux moments sans le moindre relâchement. On peut lâcher les chevaux sans relâcher la bride…

Gil Evans, George Russell, mais aussi Mingus, Carla Bley, Charlie Haden voire Sun Ra, ont aimé ces formations à neuf ou dix, à mi-chemin du « combo » et du « big band », qui autorisent une musique en mouvement, je dirais même en mouvances sinueuses tant le chemin qui s’y parcourt est parsemé de carrefours et de virages inattendus. Écoutez par exemple le solo de Hugues Mayot sur « Den Sidste Mand », et dites-moi s’il n’y a pas des échos du George Adams qui officiait chez Gil Evans vers la fin des années 70. Dans un esprit différent, voyez comme surgit sur fond de mélancolie le dialogue finalement éclatant entre la contrebasse de Joachim Florent et la batterie d’Emmanuel Scarpa dans « Blackout », avant que ne se réinstallent les cordes en douceur, dans un mouvement de danse qui finit en exaltation.

Reste que le disque n’est qu’un analogon passionnant mais imparfait de toutes les joies que Radiation 10 peut apporter en concert. Il est donc essentiel que vous vous précipitiez vers les salles et les villes où ils vont se produire en cette fin d’année. Notre monde est tellement contraint (comme le béton du même nom ou presque) qu’il appelle – sans le savoir parfois – ces plages de musiques vivantes où l’on voit des hommes et des femmes de chair engager leur dasein dans la vive expression de ce langage fou qu’est la musique. On se plaint que le lien social se perde, ou se soit perdu. La musique, même quand elle se déploie dans les codes les plus contemporains de sa manifestation, remplit un moment cette fonction et donne l’idée, et l’envie, que le furet qui court sous les notes prolonge après le concert quelque chose du désir qu’il incarne. Concertons-nous.