Chronique

Raulin, Corneloup, López

1000 dialectes

François Raulin (p), François Corneloup (ss, bs), Ramón López (dm)

Label / Distribution : Label Forge

Le répertoire de ce disque trouve son inspiration dans la vie d’Ishi, dernier indien de la tribu des Yahi, dont l’histoire a été retracée par Theodora Kroeber à partir des travaux de son mari l’anthropologue Alfred Louis Kroeber. Ishi termina une existence mouvementée au Muséum d’Anthropologie de l’Université de Californie où il tenta, malgré la barrière d’une langue dont il était désormais le seul dépositaire, de transmettre le savoir-faire et la culture de sa communauté d’origine.

Conçu au départ comme un spectacle avec musique et récitante, Restez je m’en vais réunissait la comédienne Anne Alvaro qui lisait des extraits du livre, et le trio de François Raulin. Dans le prolongement, 1000 dialectes présente aujourd’hui la musique seule qui peut s’écouter de manière autonome ; et si le répertoire se détache effectivement du texte dont il est issu, il en conserve toutefois la puissance ainsi que les traces d’un imaginaire qui lui ont donné naissance.

La méticulosité compositionnelle du pianiste donne ainsi mouvement à des séquences à l’architecture parfois complexe mais dont la lisibilité ne fait jamais défaut. Elle entraîne l’auditeur dans une succession d’évocations aventureuses qui s’apparente à une authentique cinématographie du son. S’appropriant avec naturel des ingrédients empruntés à toutes les influences du XXe siècle : jazz évidemment (des premiers âges au plus libéré) comme musique contemporaine (Ligeti et consort), le propos est à la fois robuste ou plus nuancé lorsque pointent des sentiments mélancoliques mêlés d’amertume.

Les trois interprètes, il faut dire, apportent un supplément d’incarnation. Joutes virtuoses, complémentarités des discours, Raulin et François Corneloup, particulièrement inspirés, sont de chaque coup et d’une éloquence galvanisante. Soutenu par la batterie mobile de Ramón López qui déplace les masses avec délicatesse et crée de nouveaux éclairages, le trio est avant tout un son collectif d’une épaisseur tonique et d’une générosité émotionnelle qui le rend notable.