Chronique

Reut Regev’s R*Time

Exploring The Vibe

Reut Regev (tb, tp, p, perc, fl), Jean-Paul Bourelly (g, voc, perc), Mark Peterson (b, didj), Igal Foni (dms, perc, fx)

Label / Distribution : Enja Records

Même si son nom n’éveille pas encore l’excitation des foules de ce côté-ci de l’Atlantique, la tromboniste israélienne Reut Regev, installée depuis plusieurs années à New York avec son mari, le batteur Igal Foni, n’est pas non plus une inconnue. Depuis 2010 et une tournée européenne où elle se fait remarquer de Belgrade jusqu’au Festival Jazzdor de Strasbourg, elle apparaît même comme une artiste méritant plus qu’une oreille attentive. Ce qu’Anthony Braxton n’a pas manqué de faire dans son 12+1tet, où elle s’illustre aux côtés d’autres grands noms de sa génération comme Mary Halvorson, Ingrid Laubrock et Taylor Ho Bynum. Instrumentiste virtuose, Regev concrétise depuis une dizaine d’années son goût pour un large spectre musical [1] au sein du R*Time, formation à géométrie variable qui, du trio au quartet, sait chercher le groove au plus profond d’une trame complexe.

Pour le second album de cette formation, Exploring The Vibe, paru sur Enja Records, on retrouve bien entendu les polyrythmies astucieuses d’Igal Foni. Le batteur, remarqué dans le trio de Luis Lopes (What is When, 2009), impressionne lui aussi par sa capacité à se réinventer sans cesse, en réussissant à marier une grande finesse à un jeu parfois très agressif. Bien sûr, la basse électrique de Mark Peterson est une alliée indéfectible dans la solidité de la base rythmique, mais sa relation avec Reut Regev, avec qui il se produit aussi en duo, est la base intangible de R*Time. Dans un morceau à quatre mains tel « Madeleine Forever », ce rapport quasi télépathique à un groove aussi versatile qu’il sait être acrimonieux forge un propos incandescent ; mais c’est l’anguleuse tempérance du bassiste qui permet au quartet une totale liberté.

On songe parfois, au coeur de « Drama Maybe Drama », aux souffles impétueux du Magic Malik Orchestra période « XP ». On retrouve un goût commun pour une musique fureteuse frottée à un funk aux tropismes impairs (« New Beginning », où le souffle rauque du trombone déclenche sans prévenir un hip-hop cabossé...). Dans cette intensité, le trombone de Regev s’offre lui aussi mille facettes ; il sait jouer de toutes les techniques étendues, du scratch au growl et du jeu très cuivré des brass bands jusqu’aux altérations électro-acoustiques les plus inventives qui transforment la coulisse en une myriade d’effets.

Après avoir joué, sur son premier album, avec le guitariste David Phelps, Reut Regev a eu la formidable idée de convier pour le remplacer le très hendrixien Jean-Paul Bourelly. Le membre fondateur du M-Base, mouvement dont on perçoit ici la très grande influence, joue son rôle habituel de pyromane habitué aux parcours souterrains, jaillissant parfois comme une flagrance éblouissante. Certes, il emmène souvent R*Time sur son terrain de jeu favori, comme ce « Great Pretender » où sa voix pleine de blues caresse une couleur délicieusement caribéenne.

Mais dans le formidable « Montenegro », sommet incontesté de l’album, c’est bien lui qui fourrage dans la boîte d’allumettes pour mettre le feu aux poudres. La masse orchestrale percluse d’électricité d’où s’échappent par instants quelques reflets klezmer permet avant tout une discussion sans limites entre la guitare et le trombone. Il y a beaucoup de richesse et d’intelligence dans cet échange aux multiples rebondissements. Les deux musiciens utilisent les possibilités microtonales de leurs instruments sans jamais perdre de vue le groove insensé tenu par les deux comparses de la rythmique. Après un tel album, le nom de Reut Regev devrait parler à tous les amateurs exigeants, voire aux autres. Plus que jamais This is R*Time !

par Franpi Barriaux // Publié le 27 mai 2013

[1On peut la retrouver dans de nombreuses formations klezmer, notamment celle de Frank London.