Chronique

Rêve d’Eléphant Orchestra

Pourquoi un scampi ?

Pierre Bernard (fl), Micel Debrulle (dm, perc.), Benoist Eil (eg), Michel Massot (tu, tb), Etienne Plumer (dm, perc.), Stephan Pougin (dm, perc.), Alain Vankenhove (tp)

Label / Distribution : De Werf

Pourquoi pas un scampi ? C’est ce qu’a demandé un jour un spectateur à Michel Debrulle - une des chevilles ouvrières de Rêve d’éléphant Orchestra - à propos du nom du groupe. On ne connaît pas la réponse, mais toujours est-il que cette interrogation est devenue le titre du dernier album de ce collectif né voici plus de dix ans et qui propose inlassablement de revisiter le jazz et les musiques qui l’entourent de manière très personnelle, voire unique.

On remarquera d’abord, pour ce troisième album, un changement de personnel : Laurent Blondiau (tp) et Jean-Yves Evrad (eg) laissent respectivement la place à Alain Vankenhove (tp) et Benoist Eil (eg). Ce qui cela n’altère nullement la qualité, ni la créativité de l’ensemble. Ici encore le « Rêve d’Éléphant Orchestra » ne se ferme aucune porte. Tout est bon pour divaguer, délirer ou s’évader. On sait qu’il ira toujours - et nous avec ) vers un jazz non conventionnel. Et ce qui pourrait paraître, aux oreilles du commun des mortels, comme iconoclaste et improbable se révèle bien vite comme un exutoire salutaire, une folie saine, une véritable soupape, bref : une musique pleine de bon sens, finalement. L’Orchestra n’a pas son pareil pour mélanger réalité, poésie, onirisme et cauchemar. Ses histoires, charriées sur des chemins tumultueux, sont pleines de nostalgie, de rebondissements et de déséquilibres. « Reste, reste dans mon bateau » est si cinématographique que la musique semble se dessiner sur un grand écran blanc. « Dromadaire » ou « Idylam’bo » nous perdent dans les ambiances moites d’une Afrique imaginaire. « Mon éléphant » s’inspire d’un esprit un peu plus folk rappelant un long road-movie. Puis voici du rock et, plus loin, une fanfare (« Loxodronde »). Les compositions, principalement signées Michel Massot et Pierre Bernard, sont des perles d’inventivité. Et que dire des deux fantastiques reprises - « O cieco mondo, di lusinghe pieno », un madrigal du XIVe siècle jubilatoire et déjanté, et l’envoûtant « Tradewind » de Dave Burell, exécutées avec brillance ?

Le barrissement de tuba de Massot, les envolées lumineuses de Bernard à la flûte, la rythmique toujours légère et enlevée et les percussions en trois dimensions (Michel Debrulle, Etienne Plumer et Stephan Pougin), la fluidité de la trompette et les riffs sensuels de la guitare racontent un jazz adulte à l’âme d’enfant.
La route n’est jamais monotone, rectiligne. Dès que possible - c’est-à-dire tout le temps - Rêve d’Éléphant Orchestra explore les bas-côtés, les chemins non balisés, et s’amuse à viser d’autres horizons. Un rien le fait dévier du droit chemin et tout semble permis. Ce qui donne un disque hors du temps, donc bien d’aujourd’hui, qui se vit autant qu’il s’écoute.