Chronique

Rhizottome

Malherbologie

Armelle Dousset (acc, elec), Matthieu Metzger (ss, elec)

Label / Distribution : Resistance Records

Il y a entre la Finlande et le Japon, au premier abord, autant de rapport qu’entre une poule et un bigorneau. Mais il est des musiciens pour qui ces évidences méritent d’être grattées, pour faire apparaître d’autres réalités. Entre ces deux pays, il y a bien plus que l’on ne croit : la nature d’abord, et une certaine quiétude liée aux éléments. Deux des ingrédients dont le duo Rhizottome fait son miel. Il n’est donc pas surprenant de retrouver des bords de Baltique et de Kamo-Gawa dans Malherbologie, le nouveau disque d’Armelle Dousset et de Matthieu Metzger, insatiables voyageurs et garants, braves gens, de toute la mauvaise herbe [1] qui, c’est bien connu, ne se rumine ni se met en gerbes. Il commence sur « Lisière », avec un accordéon bâtisseur et un saxophone léger comme une plume. Le duo ne touche pas terre et se remémore un voyage en Finlande ; vient ensuite « Awawan 78 » et sa troublante homophonie faite d’accélération soudaine du tempo. Là encore, on apprend que c’est du Japon qu’il s’agit, un hommage au poète Summu Hasegawa. Les coupeurs de racines ne s’ancrent nulle part, c’est la meilleur façon d’aller partout.

On avait suivi leur voyage au Japon, en résidence à la villa Kujoyama de Kyoto, et ce disque en est partiellement la traduction. C’est un carnet de voyage, mais sans limites géographiques, et avec des destinations brouillées : une mazurka accompagne un souvenir nippon et une bourrée un autre, plus letton. Rien pourtant ne nous indique que la boussole est cassée : on navigue au contraire sans contraintes et avec beaucoup de douceur. On danse, même, nonchalamment. Rhizottome réussit à abolir les racines, à embrasser le monde, mais aussi à faire fi du temps ; pas de jet-lag dans « Masure Bancale » qui balance entre Poitou et quelques grains de pollen coréen. Juste l’ivresse du voyage. Pas non plus de mélanges indigestes, tout est dans l’équilibre et la parcimonie. L’amour du monde aussi. De tous les mondes. On saute de lieux en lieux avec le duo, avec ces musiques sans attaches mais pleines de références écrites en mouvement, à l’arrière d’une voiture ou dans d’autres endroits éphémères.

C’est un fameux herbier aux essences diverses et malignes que ce Malherbologie. Avec toutes ses qualités : celle de collectionner des essences et de les attacher à des lieux et à des instants. Mais aussi celle du classement méticuleux qui n’empêche pas de jolis mélanges de fragrances pleins d’une gaie nostalgie, à l’image de ce « Jean qui rit » qui tourbillonne comme une feuille, entre deux mélodies, entre deux climats qui se tempèrent sans jamais s’opposer : la concorde est de mise. Ce disque est une ballade cosmopolite dans ce qu’elle a de plus beau, dans un dialogue permanent et une ouate translucide que le chant des machines de Metzger (une talkbox artisanale) sur « Suite de Scottishes » vient gentiment chatouiller. Ce qui ravit ici, c’est la capacité phénoménale qu’a Rhizottome de se renouveler : voici trois disques que leur rêve d’altérité ne trouve aucune redite, et continue à défricher des hybrides inconnus. Le folklore imaginaire ne connaît pas de limite.

par Franpi Barriaux // Publié le 20 décembre 2020
P.-S. :

[1La malherbologie est la science des mauvaises herbes, NDLR.