Chronique

Ricardo Izquierdo

Ida

Ricardo Izquierdo (ts, bcl), Sergio Gruz (p), Juan Sebastien Jimenez ou Mauro Gargano (b), Lukmil Perez (dms)

Label / Distribution : Plus Loin Music / Abeille Musique

Ricardo Izquierdo fait partie de ces saxophonistes ténor qui ne badinent pas avec le son. Né à La Havane, il a étudié la musique à Cuba jusqu’en 2001, pour venir ensuite s’installer à Paris et y côtoyer les musiciens de sa génération qui en font une des scènes les plus passionnantes au monde. Ce disque est bien la preuve qu’il y aura fait de belles rencontres. Ce qui ne l’a pas empêché de conserver l’énergie propre aux musiciens cubains. Non que le jazz soit ici « latin », d’ailleurs : le post-bop d’Ida évoque avant tout New York ; mais il y a dans le jeu d’Izquierdo un feu que l’on retrouve souvent chez ses compatriotes. On pense bien sûr au saxophoniste portoricain David Sanchez pour l’aptitude à développer un propos complet tout en puissance sans dénaturer les thèmes ni les amputer de leur dimension mélodique, par exemple sur le solo absolu de la longue introduction d’« Ida ». Il occupe l’espace sans le saturer, libère des torrents de notes sans sombrer dans l’exercice démonstratif. Ce moment n’est visiblement pas pour lui l’occasion d’impressionner l’auditeur mais d’amener le jeu en quartet, de lui donner du sens, et de lancer ce beau thème vers d’audacieuses élaborations collectives qui lui permettront d’aérer son phrasé, d’intercaler des respirations entre deux éboulements de notes.

Et de collectif il est forcément question puisque le saxophoniste s’est entouré de musiciens qui ont l’habitude de jouer ensemble. Juan Sebastien Jimenez est en effet le bassiste du trio du sensible et volubile pianiste Sergio Gruz. Quand à Mauro Gargano, qui tient la contrebasse en alternance avec Jimenez, on le sait proche d’Izquierdo, qui tient le saxophone sur son projet « Do Do Boxe » (dont on attend impatiemment la sortie). Izquierdo a récemment croisé le fer avec Francesco Bearzatti dans un « Saxophone Tenor Summit » organisé par Gargano au Sunside (Paris). Ces affinités croisées ne sont sûrement pas étrangères à la densité de la musique proposée sur Ida. Les amateurs de bop serré et nerveux sont invités à se pencher sur cet album, où le groupe s’exprime dans une totale maîtrise idiomatique, avec ce qu’il faut de souplesse pour renouveler sans cesse le jeu complice. Les compositions du leader sont de formidables tremplins pour l’improvisation, la dimension harmonique inhérente à l’écriture assurant aux instrumentistes de vastes champs d’expression.

Jusque dans ses épisodes apaisés, la musique est maintenue en tension par les soubresauts d’un rythme parfois contrarié et par les suites d’accords mystérieux de Sergio Gruz. Sur « S.O.S », notamment, Izquierdo pose la sonorité grave et rocailleuse de sa clarinette basse. Plus court, « Sea El Santísimo » surprend par son caractère flottant, aérien, dû aux longues notes à l’archet et cymbales atmosphériques de Lukmil Perez, lui aussi d’origine cubaine et entendu par exemple au sein du trio de Giovanni Mirabassi. Si le disque se clôt sur un morceau délicat et caressant, « Retoño d’Esperanza », interprété en solo par Gruz, on garde de ce disque l’impression persistante d’avoir été gentiment chahuté par un quartet bien décidé à ne pas céder à la joliesse. Ricardo Izquierdo ne badine pas avec le son. Ses collègues non plus.