Chronique

Roberto Ottaviano

Astrolabio

Roberto Ottaviano (as), Gianluigi Trovesi (cl), Glenn Ferris (tb), Michel Godard (tu, serpent, b)

Label / Distribution : Dodicilune

L’astrolabe, Astrolabio en italien, n’est pas que cet étrange et magnifique objet en laiton et autres matières plus nobles venus du fond du Moyen-Age pour aider à calculer la position des étoiles. C’est aussi un outil symbole d’un certain universalisme : né du génie des mathématiciens arabes au VIIe siècle, il a conquis toute l’Europe tant pour ses vertus astronomiques que pour des croyances astrologiques. Puis il prit la mer, amélioré par les Portugais pour indiquer les latitudes et les longitudes. C’est à cette genèse voyageuse, plus qu’à l’instrument lui-même que s’intéresse le saxophoniste Roberto Ottaviano, quelques mois après avoir signé sur le label Dodicilune un conséquent Forgotten Matches autour de l’oeuvre de Steve Lacy ; un hommage en compagnie du tromboniste Glenn Ferris, que l’on retrouve ici dans ce quartet de soufflants nomades. La précision remarquable de sa coulisse sur « Meu Sidi Brahim », trace andalouse des présences maures, fait traverser la Méditerranée de part en part à cet agile esquif où apparaît également Michel Godard.

A l’instar de ses propres productions influencées par la musique ancienne, le Français utilise tout autant son tuba que son serpent. Si l’on songe que le quatrième musicien de l’orchestre est Gianluigi Trovesi, dont le timbre si particulier de la clarinette alto offre une palette fort large à Ottaviano, il n’y a pas pas besoin de mentionner les racines baroques du quartet. Elles sont solidement ancrées et affleurent à chaque instant d’une musique très horizontale, fait de contrepoints légers et de tutti guillerets prêts à tous les décalages (« A Natural Hero », sans doute le sommet de l’album). Mais ici, nulle partition de Monteverdi : c’est plutôt de Kerry Minnear, l’âme évanescente du groupe de rock progressif Gentle Giant, qu’il est question. Un choix fondamental pour Ottaviano qui cherche dans les nues à la fois des chimères et des repères ; des marques du passé dans l’éclat de l’instant. Trois compositions du raffiné canterburyen sont jouées par le quartet ; à l’occasion d’« Aspirations », Michel Godard passe à la basse électrique pour alléger au maximum une mécanique très huilée et confier à Ferris une échappée belle tout en growl.

Dans ses notes de pochette, Ottaviano se réfère au Septième Sceau d’Ingmar Bergman (« Antonius Block »), dont les limbes semblent hanter « Ghost Church » qui clôt l’album. Il y a effectivement un attachement presque solennel à une cosmogonie médiévale, mais c’est davantage à un road-movie que nous convie le soprano. On passe d’une région à l’autre, des rives ottomanes de « Hiçaz Mandira » où Ottaviano et Trovesi discutent avec aisance jusqu’aux ritournelles inspirées par les traditions populaires du nord de la Méditerranée telles qu’« Antidotum ». Dans ce morceau très ouvragé, clarinettiste et tubiste rappellent qu’ils aiment tout autant les partitions immémoriales que les vieilles pierres et leur histoire commune. Avec son Astrolabio fait d’alliage de bois et de cuivres, Roberto Ottaviano garde le cap vers une musique lumineuse. La route est tracée, nous n’avons plus qu’à suivre le sillage.