Scènes

Ron Carter, le maître en Provence

Sir Ron était à Saint-Rémy-de-Provence le 18 septembre 2021.


Le Festival de Jazz à Saint-Rémy-de-Provence (13), avait convié, pour le dernier soir de l’évènement, le géant de la contrebasse, Ron Carter. A quatre-vingt-quatre ans, l’homme aux deux mille cinq cents enregistrements et des poussières est frais comme un gardon. Ce soir-là, dans la petite ville patrimoniale des Alpilles, il donne ce qui est le premier concert de sa tournée européenne avec son « Foursight Quartet ».

Ron Carter (Patrick Martineau)

L’objectif du groupe est, ni plus ni moins, de proposer une incursion dans le répertoire du jazz à la façon des mouvements d’un orchestre symphonique. Il s’agit donc de raconter une histoire cohérente et sensible, en puisant dans les standards et dans des compositions du boss (qui, quelque part, sont aussi devenues des standards).

Ce soir-là, sur la scène de l’Alpillium, c’est bien sur d’amples mouvements de détricotage et de reconstitution de standards et de pièces du leader que le quartet s’aventure. Après un bon gros hug à chacun des musiciens, c’est parti pour un peu plus de trente minutes sans pause, avec un interplay dévoué à la cause de la contrebasse, dont les harmoniques sont d’une telle profondeur que l’auditoire en est sidéré.
Ron Carter se délecte à se mettre au service de l’ensemble, en ouvrant l’espace propice aux improvisations par un jeu confinant à l’épure, notamment à la main droite. S’il expérimente, au détour d’un « Seven Steps to Heaven » notamment, c’est pour proposer à ses musiciens de se joindre à lui dans une quête d’innovation poétique au nom du swing, du groove et de la note bleue. On note ainsi le jeu spirituel du saxophoniste Jimmy Greene, la maestria du batteur Payton Crossley et la sensibilité malicieuse du pianiste Donald Vega.

Ron Carter « Foursight Quartet » (Patrick Martineau)

La tête de sa contrebasse devient la crosse du bon pasteur, qui nous conduit sur les chemins de la liberté. Comme si dans la vieille cité provençale il renouait avec la geste mythologique de quelque pâtre de l’antiquité. Non, le public n’est pas un troupeau de moutons de Panurge, mais il devient quelque part le cinquième membre du groupe. Sans les vibrations d’effervescence collective de l’auditoire, en effet, quel sens auraient ces mille nuances de groove sur « My Funny Valentine », ce swing omniprésent sur « Spranklin’ », ces jeux lors des échanges sur « You and the Night and the Music » ? Dans cette deuxième partie du concert, l’humour et la modestie non feinte sont bien présents. Alors quoi de mieux pour se quitter qu’un bon vieux « But Not For Me », sur lequel sa main gauche, sublime sur la touche de l’instrument, semble nous dire que ce n’est qu’un au revoir et que, oui, nous nous reverrons certainement, dans ce monde d’après que sera toujours le jazz.

par Laurent Dussutour // Publié le 5 décembre 2021
P.-S. :

Merci à Patrick Martineau pour ses clichés. Il proposait une exposition consacrée à Didier Lockwood dans un hôtel saint-rémois (l’un des évènements parmi d’autres de ce très convivial festival de fin d’été).