Chronique

Salva Rubio

Django Main de Feu / Miles et Juliette

Salva Rubio (scénario), Efa et Sagar (dessin)

Le scénariste espagnol Salva Rubio est spécialiste des récits historiques. Il signe, en BD, la vie de Monet, prépare celles de Brel et Degas et co-signe deux nouvelles BD concernant le jazz : Django Main de Feu, dessiné par Efa (Dupuis) et Miles et Juliette dessiné par Sagar (Delcourt), les deux dessinateurs étant également espagnols.

Pour chacune des BD, un dossier historique complète et explique le récit, notamment parce que dans les deux cas – l’enfance de Django Reinhardt n’est pas documentée et la rencontre entre Miles Davis et Juliette Gréco est du domaine de l’intime – les auteurs proposent leur vision imaginaire d’événements certes crédibles mais non vérifiables.

Django Main de Feu

L’enfance de Django Reinhardt, de sa naissance (1910) à l’usage retrouvé de sa main brûlée et son jeu de guitare aussi personnel que génial (1930). Deux décennies à suivre les pérégrinations d’un petit garçon manouche, vivant dans la zone autour de Paris, oisif et hors-cadre et qui apprend à jouer du banjo de façon si virtuose qu’il en devient le plus recherché des musiciens de musette. Le dessin est doux, les couleurs pastel évoquent l’aquarelle, les contours sont peu marqués et les visages, légèrement caricaturés, sont assez proches des personnages historiques. On reconnaît sans peine les musiciens évoqués. Cette histoire, tant qu’elle est imaginée, se passe dans cet avant-guerre (celle de 14-18 n’est pas évoquée du tout) qui ressemble encore à une fin de XIXe siècle, le monde des gitans tenant lieu de décor. Le style narratif choisit l’angle de l’émotion, avec des postures dramatiques, des moments romantiques et les dialogues, très nombreux, pèchent un peu par leur légèreté. Néanmoins – et c’est le propre de la BD – on peut assister aux événements tant relatés que sont l’incendie de sa roulotte et sa dextérité à la main gauche, dont seuls trois doigts répondaient encore. A ce sujet, une double page évoquant son travail de rééducation à la guitare, propose une frise de positions d’accords à la guitare, avec cette étrange combinaison. Un travail d’anatomiste fascinant.

Miles et Juliette

La rencontre en 1949 à l’occasion du Festival International de Jazz de Paris, entre le trompettiste Miles Davis (déjà connu pour Birth of the Cool) et l’égérie de Saint-Germain des Prés, la chanteuse Juliette Gréco, n’a pas fait couler tant d’encre que ça. Cet épisode d’une semaine ne figure que peu dans le récit historique (autobiographique ou rapporté) du trompettiste et Juliette Gréco n’en parle qu’avec un certain goût pour le mystère. Toujours est-il que leur rencontre a été le siège d’un coup de foudre, fait avéré, et qu’une histoire est née. Salva Rubio décide donc de nous inviter dans cette intimité, à Paris, en compagnie des musiciens de jazz présents pour le festival, de Boris Vian, de Jean-Paul Sartre, de Simone de Beauvoir et Eartha Kitt, entre autres. Avec le dessin de Sagar très ombré aux fines hachures, des à-plats aux dominantes foncées bleue, rouge et vert et une utilisation rationnée de contours très contrastés, le style s’apparente à un carnet de croquis pris sur le vif. De plus, la grande disparité de formats de cases, de contours, de cadrages évoque le cinéma, ce qui se combine parfaitement avec le genre et le sujet.

Qu’importe ce qui s’est vraiment passé cette semaine-là, on assiste à un coup de foudre entre deux personnes, c’est l’essentiel. Que ce soit Miles et Juliette ravira les amateurs de jazz, d’autant que l’histoire commence à New-York début 1949, lorsque Miles cherche partout Charlie Parker pour jouer avec lui. Elle se poursuit, toujours à New-York, avec la gestation et l’enregistrement du programme Birth of the Cool avec le nonette et Gil Evans, comme si vous y étiez.
Et Miles croise Duke Ellington, joue avec Bird et prend l’avion pour Paris…
Entre les promenades nocturnes dans la ville, les soirées au Tabou et les discussions avec les germanopratins de renommée, les deux amoureux roucoulent et on les suit jusque dans la chambre à coucher.
Une scène d’anthologie est la discussion sur un quai de Seine, entre Boris Vian et Miles, une apothéose zazou qui se conclut par un duo onirique trompette/trompinette. Merci pour ce moment !