Sean Fyfe

Qu’est-ce qui peut différencier une formation de hard bop d’une autre ? Ce courant du jazz, qui voulait redonner au be bop des échos de spirituals et des envies de danse, sans ignorer les pulsations latines, reste particulièrement prégnant dans les propositions contemporaines - avec Emmet Cohen notamment. Ici, le pianiste Sean Fyfe s’empare avec gourmandise de standards comme « Prelude To a Kiss », « Skylark » ou encore « Without a Song » en les parant d’arrangements originaux aux saveurs authentiquement soul. Ce Canadien désormais installé à Londres a passé une dizaine d’années à New-York, s’imprégnant de la musicalité des paysages urbains ainsi que du patrimoine vivant d’un genre qui n’a rien de désuet. Son jeu de piano, entre la ferveur d’un Wynton Kelly et l’impressionnisme swing d’un Bill Evans (deux références affirmées), donne à ses compagnons de jeu des indications de nuances et d’intensité dans le son collectif. En particulier sur ses propres compositions qui, empruntant volontiers aux harmonies du blues ou de l’anatole, sont parées de mélodies aguicheuses et se prêtent à des conversations musicales à fort degré de swing.

Le saxophoniste louvoie entre puissance à la manière d’un « honker » qui connaît son rhythm’n’blues, et lyrisme expérimental à la façon d’un Sonny Rollins (après son « retrait » créatif sur le pont de Williamsburg). La rythmique est à l’avenant : le batteur assène des coups de fouet sur sa cymbale ride tout en caressant sa grosse caisse (beau paradoxe qui fleure bon le jeu bebop) pendant que le contrebassiste garde solidement les murs de la maison (non sans quelques glissandos somptueux). Ce disque offre un beau témoignage de la prégnance du hard bop dans une Angleterre qui avait ignoré en grande partie ce courant à l’époque de son émergence outre-Atlantique. Le propos d’ensemble, subtil et narquois, élégant et canaille, donne à l’ensemble un ton résolument contemporain.