Chronique

Shootin’ Chestnuts

Naninani ?!

Nicolas Arnoult (Wurlitzer), Christophe Castel (ts), Mathieu Ambroziak (elb), Alexandre Ambroziak (dms).

Label / Distribution : Le Bazardier / Inouïe

Au jour du jugement dernier, l’auteur de ces lignes sera peut-être pointé méchamment du doigt pour avoir défendu sous l’effet d’un chauvinisme exacerbé la cause de Shootin’ Chestnuts, un groupe de musiciens habitant la même ville que lui, Nancy pour ne pas la cacher. Pour sa défense, une seule méthode : l’écoute répétée de Naninani ?!, un album dont les contours électriques et les énergies sont élégamment enrobés d’un cartonnage aux petits oignons. Inutile de préciser qu’un tel objet disque sera du meilleur effet sur les étals des boutiques spécialisées… Le fond et la forme, pour dire les choses en quelques mots et rappeler qu’il existe une vie en dehors du streaming. Avec, cerise sur le gâteau, l’intention chez les musiciens de privilégier les circuits courts : le label (Le Bazardier) comme le graphisme sont locaux, l’impression et le mastering fournis par des voisins (Vosges et Moselle). La musique semble devoir se convertir elle aussi aux impératifs d’une économie durable.

La musique, parlons-en, car elle non plus n’a rien d’éphémère et peut revendiquer sa défiance envers la futilité des modes. Vous pourrez l’affilier au jazz comme au rock, selon vos inclinations, mais c’est une autre histoire. La rythmique, assurée par les frères Mathieu et Alexandre Ambroziak, respectivement à la basse électrique et à la batterie, est solide, comme on dit. Peut-être parce que nous ne sommes pas loin du bassin sidérurgique et des aciéries. Ces deux-là s’y entendent pour mener l’embarcation à bon train, eux qui lorsqu’ils étaient plus jeunes shootaient dans les marrons tout près du Conservatoire dont ils étaient les élèves. Donnant naissance, sans le savoir, au nom d’un groupe à venir… Nicolas Arnoult et Christophe Castel, bien connus par ici du fait de leur présence de longue date dans quelques collectifs locaux et néanmoins chahuteurs (Emil 13 par exemple), mettent leurs expériences respectives, le premier au Wurlitzer et le second au saxophone ténor, au service d’un quatuor délivrant un chant réellement habité et qui, à force d’obstination et de montées en tension, peut se révéler obsédant, proche de la transe (« Day Two », « Les Herbes de Myre » ou « GinToMantra »). Leurs influences revendiquées sont Sonic Youth, Steve Coleman, Björk ou Elvin Jones. Il faut tout simplement comprendre qu’il s’agit là d’un amalgame fusionnel de rythme et de rêverie rageuse, parfaitement concentré en un peu plus de 40 minutes sans le moindre relâchement. On pense parfois à un autre quartet hexagonal, Festen, mais dans une version moins polie (comme le serait une pierre). Naninani ?! est un album hanté par la pulsation, mais dont la force est modulée par sa souplesse. Il accorde de surcroît une attention particulière au travail sur le son (le mastering a été confié à un orfèvre en la matière, Jean-Pascal Boffo). Sans s’interdire pour autant quelques effets sonores recourant s’il le faut à la saturation, ni même une plongée au cœur d’univers plus solitaires voire réflexifs (« Cucumber Style », « Jacques Mayol »), mais toujours entêtants.

Reste à évoquer le curieux nom de ce disque : Naninani ?!, qu’est-ce donc ? Y a-t-il un sens caché ? Faut-il deviner un appel désespéré ? Ou imaginer une bestiole mal intentionnée, du genre animal suceur de sang ? Vous êtes loin du compte… Sauf si vous avez appris que ce quatuor s’est récemment illustré par une mini-tournée au Japon et qu’il en est revenu avec quelques souvenirs (ainsi une voix féminine sur « Cucumber Style ») et autres bribes langagières ayant fourni la matière première du titre [1]. C’est tout simple. Et vraiment réussi, de bout en bout.

par Denis Desassis // Publié le 27 septembre 2020
P.-S. :

[1On traduira le titre du japonais par : « Quoi Quoi ?! ».