Chronique

Siam

Bangkok 7h43

Samuel Maingaud (sax), F. Herrgott (comp, kb), Matthias Mahler (tb), Julien Herné (b), Arnaud Renaville (dms) + Sylvain Beuf (ts), G. Farley (b), V. Peirani (acc), D. Zimmerman (tb).

Label / Distribution : Autoproduction

Voilà un disque qui exprime une vraie sérénité, autant par le soin apporté aux mélodies, vite entêtantes, que par les histoires qu’il conte et les hommages rendus à travers chacune d’entre elles. Un voyage en Asie, un projet avorté de virée en hélicoptère avec l’Abbé Pierre, la disparition d’un jeune ami musicien avant la rencontre avec un vieil oncle philosophe, une célébration de compositeurs tels que Debussy, Chopin ou Pat Metheny… Bangkok 7h43 se veut le témoignage d’une certaine façon d’appréhender la musique comme élément constitutif de la vie. Philosophie de la musique ? Musique de la philosophie ?

Le groupe SIAM, on le devine, laisse une large place à l’humain – mais aussi à l’humour, ce qui n’est jamais désagréable, les commentaires de chaque titre de ce disque étant un petit régal, y compris lorsqu’ils justifient l’absence de commentaires. Cette formation est née de la rencontre entre le saxophoniste Samuel Maingaud et le pianiste/compositeur Frank Herrgott. Deux personnalités sensibles et fortes qui ont trouvé un précieux renfort en la personne de trois autres complices, comme eux dotés d’une solide expérience et d’une belle carte de visite : Matthias Mahler au trombone, Julien Herné à la basse et Arnaud Renaville à la batterie. Le quintet naît en 2008.

Et pour l’enregistrement de Bangkok 7h43, leur premier disque, ces voyageurs curieux d’autrui [1] ont fait appel à un quadruple renfort : Sylvain Beuf (saxophone), Vincent Peirani (accordéon), Daniel Zimmerman (trombone) et Guillaume Farley (basse), dont les couleurs respectives sont autant d’atours séduisants, même si le groupe initial est auto-suffisant en ce domaine.

Une belle équipe pour un disque luxuriant et virtuose dont les arrangements subtils et les couleurs multiples, qui associent jazz, musique classique et autres formes plus contemporaines - dont certaines pas si éloignées de l’idée de chanson -, affichent un appétit de vivre des histoires qui, toutes, veulent nous prouver – mais en est-il besoin ? – qu’ordinaires en apparence, les moments du quotidien ont ce petit quelque chose d’exceptionnel qu’on peut attraper au vol à condition d’être en état d’éveil. L’émerveillement du groupe face au spectacle du cortège de moines bouddhistes collectant à l’aube les offrandes des commerçants de Bangkok – fascination qui a donné le titre du disque et son ouverture – est le meilleur exemple de son état d’esprit. Une sérénité affichée, un regard contemplatif, une part laissée à nos yeux d’enfants sur le monde.

Ce qui frappe ici (et n’étonnera pas vu la démarche), c’est le fort potentiel chantant d’une musique servie par un groupe très homogène, comme dans un film où seraient évoquées sous nos yeux des chroniques de voyage peuplées d’innombrables souvenirs. Le soin porté à la mélodie de chaque titre (« Bangkok 7h43 », « Lorsque Guillaume Farley nous étions toute ouïe », « Une pensée pour Benny »… les dix compositions pourraient être citées), le sens du travail collectif, les arrangements soignés jetant des ponts entre musique classique et sonorités d’aujourd’hui (l’ultra rapide « Docteur Gradus Montparnassum » pour Debussy, « Hôtel Chopin » non seulement en hommage au compositeur mais aussi à Prokofiev), la brillance des interventions solistes de chaque musicien, et notamment les invités, tel le magnifique Vincent Peirani dont la plénitude du jeu est ici particulièrement touchante, tous ces ingrédients font de Bangkok 7h43 un disque qu’on aurait envie de qualifier d’heureux. Mais il ne s’agit pas là d’un bonheur égoïste et un peu stupide qu’on garderait pour soi, en fermant les yeux sur le reste de monde. Plutôt l’occasion d’un moment de partage, traduisant peut-être l’influence de l’Asie sur le regard porté par Frank Hergott (qui a composé l’intégralité des titres) tout autour de lui.

En 1979, Gérard Manset publiait Royaume de Siam, dont la chanson éponyme disait : « Celui qui voit le monde par tes yeux, celui-là peut-être il peut être heureux ». Cette recherche attentive du petit éclat de lumière de l’instant présent illumine manifestement chaque note de Bangkok 7h43. Elle nourrit le disque d’une vibration harmonieuse où l’émotion affleure en permanence, sans jamais verser dans la sensiblerie : l’embarquement vers SIAM est alors immédiat.

par Denis Desassis // Publié le 11 juin 2012

[1Faut-il préciser que le nom de Siam est l’ancienne appellation de la Thaïlande ? Un pays où Hergott à mené de nombreuses collaborations artistiques, et qu’il considère comme sa seconde patrie.